Nos cousins d'en face

"Bienvenue, vous zêtes chez vous ici"

Algérie février 2007

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Itinéraire : Alger -> Adrar -> Timimoun -> El Golea -> Ghardaïa -> Alger -> Tipasa -> Alger

  

Carnet de voyage :

Merci à Marion Claude et à Carole pour leurs conseils et leurs relectures

1- Vous êtes des pieds noirs ou des pieds blancs ?

Vous savez, on ne peut pas tout raconter. Parfois, il y a des limites à ne pas franchir. Le décence en est une, la peur en est une autre. Un jour, je vous raconterai en détail pourquoi j'ai traversé la Méditerranée. Aujourd'hui c'est aussi facile que de traverser la Seine hier. En gros, c'est comme ça : la Seine, là où j'habitais étant enfant, il fallait faire gaffe à ne pas la traverser trop souvent. De l'autre coté, il y avait les "arabes", ceux qui "traînaient dans les rues" avec leurs "vestes trop grandes" leurs visages non rasés" c'est à dire ceux à qui j'allais ressembler à force de me laisser pousser les cheveux, ce qui à l'époque passait pour une grave manifestation de rébellion. Les "Zarabs", un concept pour structurer l'imaginaire d'un enfant.

Depuis, Puteaux s'est embourgeoisée, et il vaut mieux traverser la Méditerranée - Mare Nostrum des romains - pour aller voir les arabes, nos cousins. Un jour, je comprends tout : enfant, certains lieux m'étaient déconseillés, voire interdits. J'avais intégré cette sentence et me l'appliquais à moi-même. Pas le droit d'aller là, "ils" me repéreraient trop facilement, me catalogueraient et "m'expulseraient", là où ma présence même serait perçue comme une "provocation".

Un jour, le voile est tombé progressivement. J'ai compris que j'avais le droit d'aller partout et aussi  chez les autres, les pauvres, les mal rasés, les "colored people", ceux qui portent de drôles d'habits.  Et, en général, c'est toujours là que j'ai été le mieux accueilli.

Donc, comme je ne le disais pas, samedi 17 février, on débarque à Alger. Gaby se vautre à l'hôtel Arago pour s'approprier ces lieux nostalgiques inchangés depuis plusieurs décennies et moi je file chez le coiffeur dans la basse casbah. On ne fait pas trop les fiers dans la rue, on imagine être regardés de partout et notamment par des poseurs de bombes attendant leur nouvelle cible et la découvrant en la personne de nozigues. Le coiffeur fait un bon job (1€ mais trop de littérature islamiste dans la salle d'attente), et les terroristes ne sont pas là. "Attention aux voleurs dans la casbah" nous disent les gens du coin. "Surtout la nuit !" "Allez y plutôt l'après-midi, tu vois tu prendras ton temps, le soleil éclaire bien alors". "Et le matin, on peut y aller aussi ?". "C'est pareil le matin, comme tu veux, vas-y aussi, tiens si tu veux, je t'accompagne".

Certes on en a connu beaucoup des pays : ceux où on vous regardent fixement, ceux où on ne vous lâche pas la semelle, ceux où l'on vous appelle pour faire la causette, ceux où on vous lance des regards assassins (les automobilistes parisiens), ceux chez qui les regards sont éméchés par la vodka, ceux qui abordent avec toujours la même litanie de question (Where do you come frrrom ? watt ize yore name ? Are you marrrried ? Watt ize your purrrpuse in life ?)

Mais là rien de tout cela. On ne vous regarde pas spécialement, si vous posez une question on vous répond fort gentiment, on vous demande d'où vous êtes en France. "Tiens, moi quand je suis venu à Paris, j'étais à Barbès". "Tu sais, j'ai mon fils qui est maintenant chirurgien à Clermont", "Salut les immigrés" nous disent des jeunes à Bab El Oued,  et quand même, le principe de base, c'est la politesse. "Salamaleikum ! Aleikum sallah ! Labes ? Labes ! Hamdullah (avec beaucoup de variante, et plein d'itérations dans les demandes de nouvelles :  je traduirai après maintenant, je suis parti pour écrire et on m'arrête pas comme ça).

Alger la blanche : Gaby tire ses 1ères conclusions de fin analyste du monde méditerranéen : "Alger, c'est Marseille, mais aussi un peu comme Nice". Bon c'est le sud quoi. Marseille est à mi chemin entre Alger et Paris. On n'a pas traîné le dimanche, on a beaucoup ratissé la ville : le quartier des pêcheries, la casbah et son palais en haut, la rue Didouche Mourad (ex rue Michelet), la grande poste, Notre Dame D'Afrique, Bab el Oued. "Faut que je retourne à l'hôtel pour travailler" dit  Gaby pensant au grand nombre de photocopies de travail qui l'attendent.

Sur la place de la Grande Poste (style musulman du 19ème), face à la mer, un grand camion rouge projette des dessins animés de Tom et Jerry entrecoupés de passage sur les enfants d'Alger jouant au foot avec Zidane lors de son dernier passage. Zidane, le pape du foot délivrant son encyclique pastorale. Attendre, beaucoup de monde attend ou prends son temps sur l'esplanade : inactivité ? inoccupation ? On passe sa vie à attendre des choses qui ne viennent pas ou sont hors de portée de la main.

Curieusement, ici en Algérie, on ne marchande pas, le prix indiqué est le juste prix et il est souvent affiché. "Prix d'une coupe de cheveux simple : 100 DA" - soit 1€ est affiché chez le coiffeur.

En centre ville, rien n'a changé depuis un siècle, ni enlevé, ni rajouté : Alger la Blanche reste telle quelle. Un musée. Le centre ne rajoute pas le verre et le béton. Pèlerinage dans le passé. Partout dans l'architecture, les traces de ceux qui ont vécu ici il y a plus de 50 ans. "Café des sports", "Commerce de Monsieur Duval". Seule la banlieue connaît des barres de logement sociaux qui, vues du côté de l'aéroport, n'ont pas paru inhumaines. Avec même des tentatives architecturales.

Les chinois sont aussi là dans les rues, les boutiques : touristes, prospecteurs, marchands. Les nouveaux conquérants du 21ème siècle en quête d'Eldorado.

Alger à la charnière du nord et du sud. Notre Dame d'Afrique au dessus de Bab El Oued domine la baie. Construite en calcaire ocre au milieu du 19ème siècle, c'est le même style que Notre Dame de la Garde à Marseille.

La maison d'Ali La Pointe à la Casbah dynamitée par les parachutistes français il y a exactement 50 ans parce qu'il ne voulait pas se rendre. Grandes arcades le long du port et sur les rues parallèles au bord de mer pour lutter contre la chaleur l'été.

Les hommes en ce mois de février , c'est jean ou pantalon de survêtement + blouson. Les femmes, cela va du long manteau traditionnel + foulard + masque (casbah) à la tenue occidentale dans la rue Didouche. Beaucoup de policiers et gendarmes dans la ville et aux portes. Des attentats sporadiques dans la lointaine banlieue ou vers Tizi Ouzou.

"Bonjour les amis, soyez les bienvenus" (ça c'est le leit motiv). Avec des variantes. "Vous êtes des pieds noirs ou des pieds blancs?". "Attention aux voleurs dans la casbah ; autrefois c'était le domaine des islamistes". "Ne mange pas trop les fèves crus, c'est surtout bons pour mettre dans le couscous".

"Les évènements des années 90, comment on les appelle chez vous en Algérie ?", "Hé, Hé, c'est une sorte de soulèvement populaire inspiré par les islamistes et la jeunesse. Mais le peuple n'a pas suivi. Tu sais le peuple, il a toujours raison". "Viens voir mon bain turc, tu sais votre Président du Conseil Constitutionnel, Pierre Mazaud, je l'ai alpagué dans la rue il y a une semaine. Regarde, il a signé mon registre. Demain ? D'accord, Inch Allah mais avant 17h". Car en Algérie, l'heure a son importance. On est si près de l'Europe ! Des noms qui sentent bon le ciel.

Le "p'tit maître" a grandi, les événements s'accélèrent. Certes, il réclame toujours le massage des pieds voire même des jambes ou du dos le soir. "Parce que j' l'ai bien mérité". Mais le bac approche avec son cortège de sérieux et de projection dans l'avenir. Un tournant est pris. Les prépas, il faut les préparer. Et de fil en aiguille, se préparer à préparer sa vie, son métier. Si on réfléchit, dans un an, il sera déjà parti à Toulouse à Istres ou ailleurs. La roue tourne.

"L'Algérie apparaît aujourd'hui comme un "coin" de France, je ne veux pas utiliser le terme de "province" qui pourrait laisser transparaître une quelconque allégeance politique. Néanmoins, l'Algérie est "restée" française par son histoire, par les traces visibles de son passé (bâtiments, monuments, etc.), par la langue parfaitement et couramment parlée par pratiquement tout le monde, et surtout par le profond attachement des Algériens à la France. Tout ceci en harmonie avec le statut d'aucune façon renié de nation indépendante et de pays arabe et de religion majoritairement musulmane. Terre d'accueil, où après avoir visité plus d'une cinquantaine de pays, je constate que le peuple algérien est l'un des plus hospitalier que je connaisse.

Lors de mes déplacements à Alger et sa banlieue, la phrase qui revenait le plus souvent et qui était dite avec une grande sincérité était tout simplement : "vous êtes ici chez vous ! ". Peut-on imaginer un meilleur accueil ?"

A la casbah, les immigrés clandestins black (camerounais, nigériens, maliens) tentent de survivre et de se refaire en portant les sacs de riz dans les ruelles escarpés ou en vendant à la sauvette des babioles dans la rue. Chacun a ses émigrés. Le regard reste tourné vers le nord.

Gaby s'endort dans le bus pour l'aéroport Houari Boumediene. L'anticipation des évènements, la volonté de trop les visualiser à l'avance, leur transposition font parfois paraître les choses plus difficiles qu'elle ne seront : pour l'Algérie, le voyage sera constamment plus facile que ce que nous aurions cru.

Image:Casbah alger.jpg

Grâce à sa lettre magique, Gaby aura le droit de faire le décollage et l'atterrissage au poste sur l'ATR72 d'Air Algérie qui nous conduit en plein coeur du Sahara, 1.000 km au sud, à Adrar. A 16h on est à 16.000 pieds, 550 km/h, des nuages cumulus obligent à un contournement pour les éviter dans la région d'Alger avant le grand beau au dessus du Grand Erg Occidental. Sourire.

Il y a 50 ans exactement (1957) c'était le milieu de la guerre d'Algérie et la bataille d'Alger battait son plein. C'est loin tout cela. Il ne reste plus grand monde pour se souvenir et raconter. L'histoire s'écrit quand le jeu de quilles des survivants est terminé. Le pays est jeune : 75% de la population a moins de 25 ans. Nous avons visité la maison d'Ali la Pointe, adjoint de Yacef Saadi (responsable de la zone autonome d'Alger) et dont la maison a été plastiquée en 1957 parce qu'il refusait de se rendre aux paras. Avec lui dedans et quelques autres personnes. La casbah était un refuge pour les gens du FLN. Yacef Saadi a maintenant 78 ans. Il est un dignitaire retraité du régime et vit sur les hauteurs d'Alger dans une luxueuse villa avec piscine.

Hibi Reda autre membre très actif du FLN poseur de bombe a maintenant 80 ans. Tout deux ont été capturés en 57 condamnés à mort et graciés par De Gaulle en 58. Commémoration ? Le coeur n'y est pas. Le désenchantement est profond dans la population qui redoute une récupération par le pouvoir de cet anniversaire.

Souvenir d'histoire : Charles de Gaulle, Discours d’Alger (4 juin 1958)

« Je vous ai compris ! Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité. Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique  d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.
Eh bien ! De tout cela, je prends acte au nom de la France et je déclare, qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière,  des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. »

Le Général de Gaulle a été rappelé au pouvoir pour résoudre la crise algérienne. Cet extrait est tiré d’un discours du Général de Gaulle prononcé le 4 juin 1958, à Alger. Ce discours laisse entendre qu’il est résolu à conserver l’Algérie Française et entraînera de grandes désillusions parmi les colons d’Algérie.

"Qui aurait pu imaginer que l'Algérie en serait là aujourd'hui ? Injustice, misère, corruption à grande échelle. Les vivants ont trahis les morts". Comme d'habitude les idéaux pour lesquels on s'était battu ont été bafoués". Le Monde du 31/1/2007 rapporte les propos d'un professeur de médecine de chahib (martyr de la révolution). La révolution trahit toujours ses idéaux quand elle ne va pas jusqu'à dévorer ses enfants. Ce qui était peut-être le cas avec les "évènements" des années 90. Mais comment appelle-t-on cela ? "Hé, hé, on ne peut pas parler de guerre civile, on va dire ...". Et cette fois encore, je n'aurais pas ma réponse sémantique.

Plus tard, j'obtiendrai au prix de quelques difficultés le mot juste, enfin la terminologie qui réunit le maximum de suffrage : "on va dire la décennie noire".

Dans l'avion, les hommes d'affaires ou hauts fonctionnaires (qui d'autres qu'eux peut prend ce moyen de transport coûteux, 10 fois plus cher que le bus) lisent El Watan, découpent soigneusement les appels d'offres publiques et s'intéressent à l'article sur la mort de Maurice Papon (ex Préfet d'Alger entre autre) intitulé "Un criminel s'en va en toute impunité". Ils jettent aussi, bien sûr, un oeil sur la presse française.

"Tu sais, la copilote est une femme". Décidément, c'était déjà le cas à l'aller sur Air France et ce sera encore le cas au retour ! Et il précise : "elle n'est pas voilée". Ouf, la vision des instruments de bord en sera  plus facile et notre sécurité mieux assurée. Hamdullah !

A 18h, on commence la descente sur Adrar, le ciel est beau mais voilé. 25° à Adrar (45/50° possible l'été). Atterrissage en plein désert. Deux hélicos de l'armée sur le tarmac. Les fissures de la pistes sont enduites de goudron noirs. Il ne reste plus qu'à faire les 1.200 km de retour sur Alger !

Mohamed est là qui nous attend et nous héberge dans le complexe touriste dont il détient des parts. "Tu vas pas aller ailleurs, non ? Il faut que que tu comprennes ce que c'est que l'hospitalité chez nous". Mohamed est un rêveur, un poète qui aime regarder pousser les plantes et un ami. Travaillant anciennement à Air Algérie, il s'est reconverti dans le désert où il tient une exploitation agricole à 50 km de Timimoun (cultures maraîchères, palmiers, élevage et bientôt les chameaux). Mohamed est la gentillesse et la générosité même. Somptueux complexe touristique à 10 km d'Adrar : piscine, bungalows, tente-restaurant.

Plus tard, en mars, nous apprendrons que Mohamed a été impliqué dans l'affaire K. et mis en prison. Dans cette affaire, les petits payent pour les gros et je ne peux croire que Mohamed y ait la moindre implication.

Nous, on voyait Adrar sur la carte, un petit point dans le désert, un trou perdu, deux ou trois maisons dans le sable. Ben , on s'était trompé, c'est une ville de 100.000 habitants. Du pétrole et du gaz pas loin. Donc de l'électricité, des lignes électriques, des forages et des pompes, de l'irrigation, des cultures maraîchères toute l'année (sauf juin, juillet, août où il fait vraiment trop chaud). En plus une très grande université "africaine". A la station d'essence, on se sert en eau à partir d'un énorme camion citerne. Un ou deux jours de pluie par an. Le désert entier autour de la ville peut être irrigué avec des systèmes de goutte à goutte et de ponts roulants.

Au dîner, Mohamed montre les étoile à Gabriel : Venus, Orion, la Grande Ourse. Ça y est, on est dans le désert. Alger, c'est la queue de la comète.

2- Du sable plein les yeux

Le minibus du complexe touristique nous dépose en ville pour prendre le bus de 9h. Il fait frisquet. Mohamed a tenu à nous accompagner ! A 11h20 c'est déjà Timi la rouge. Dans le bus, surtout des blacks. Je réfléchis aux rapport entre le réel et internet son miroir. Le réel est beaucoup plus vaste qu'internet. Autrement dit 1) internet ne dispense pas d'aller y voir par soi-même, 2) si ce n'est pas sur internet (le renseignement, la situation, la description, l'intérêt de la chose), ça ne veut absolument pas dire que ça n'existe pas. Tiens, on est arrivé depuis quelques minutes, le bus est arrêté et le gentil chauffeur me fait signe de descendre, "c'est terminus Monsieur".

Le Sahara, par ici, il y a de l'électricité partout, des constructions : le désert se remplit de monde, le long du ruban de la route. Le Sud, c'est la nouvelle frontière.

Au bout de la ruelle sablonneuse où le bus nous a déposés, nous les derniers passagers, il y a une petite boutique de souvenirs (Tala Artisanat) tenue par Abusalem. C'est pas qu'elle fasse beaucoup d'affaire ("tu sais, depuis les évènements, il ne passe plus personne ici, et même avant ...") mais Abusalem avec ses grands yeux malins reste fidèle au poste. Immédiatement, nous installons notre camps de base dans l'échoppe et commençons à faire des affaires avec cet honorable commerçant. Le thé vert sera le lubrifiant de nos négociations. 1) Abusalem gardera nos affaires non indispensable à la balade pendant les 3 jours de notre "trek" dans l'oasis 2) Abusalem est chargé de négocier pour mon compte la vente de l'autoradio ramené de France dans nos affaires. Pour ce faire, nous nous rendons avec lui chez un de ses confrères, réparateur de son état qui expertise rapidement le poste et en estime la valeur marchande. La commission d'Abusalem est fixée à 40%. A 20% je n'étais pas assez "généreux pour lui (sourire de part et d'autre) 3) En guise de cash, nous achetons immédiatement 2 cheichs (un vert pour moi et un rouge pour l'interprète) pour 1.5€ pièce 4) Abusalem nous convie à un repas pour notre retour vendredi prochain ("Tu m'appelleras avant que je puisse préparer le dîner"). Les affaires ont été excellentes de part et d'autre et elles promettent de l'être encore plus à mon retour ("Tu sais, toi et moi, on a encore beaucoup de choses à se dire". Ce qui me fait hocher la tête doctement : le commerce est le moteur du monde).

D'autres affaires nous pressent avant le couvre feu de midi, nous devons passer au marché (à 30 m de chez Abusalem) pour faire les courses pour nos 3 jours de marche : tomates, carottes, fèves, oranges, cacahuettes, spaghetti, côtelettes de mouton, sardines (d'Essaouira !). Le marché est cool et paisible comme on les aime. Aucun racolage, aucune agressivité. On salue, on dit bonjour, Salaaleikum, labès ?, labès, Hamadulah. Charmants les gens, je vous dis? Prix fixes, affichés parfois sur un bout de carton corné. Les additions sont linéairement exactes (la somme des prix est égale au prix de la somme. "Tu veux pas prendre de guide pour aller te promener ? C'est très bien comme ça mon ami, au revoir, vous zêtes les bienvenus".

Quand, j'étais gamin, ça me faisait toujours marrer ces boutiques tenus par des commerçants arabes qui s'appelaient toutes "Le bienvenu". Même le vin d'Algérie s'appelait comme cela du moins une marque particulière. Maintenant, je comprends mieux. On passe son temps à aller cherche les clés de ce que l'on a pas bien compris ou de ce qu'il vous était interdit de comprendre. On doit finir sa vie comme un taulier de prison, la ceinture bardée de clés qui cliquètent.

Bon les sacs à dos sont bien lourds maintenant avec tout cela plus la tente et les duvets mais sans eau. Un taxi pour Ighzer (à 15 km), une grotte très profonde  dans le rocher. Il fait bon 25° à peine avec du vent et un ciel voilé. Que faire ? Partir tout de suite ou déjeuner. Un gamin sort de sa maison et tranche pour nous. "Tu viens déjeuner à la maison ?". On y va. La mère prépare bien vite un couscous servi par terre devant la télé branchée sur la magnétoscope. Enfin, c'est parti cap au 330° le long de la falaise. Des villages tout le long grâce à un ingénieux système de captation de l'eau sous la falaise par des tunnels horizontaux (les "fogaras").

J’ai toujours pensé que les outils ne se forgeaient pas tout seuls : ils n’existent que parce qu’on en éprouve le besoin et c’est finalement l’ouvrage à faire qui appelle les outils spécifiques. Voyager réclame un outil particulier. La réflexion rapide, l’intégration instantanée d’une multitude de micro évènements qui pourraient n’avoir aucune signification mais qui prennent un relief particulier à la lumière des mosaïques qu’on ose créer. On peut se tromper, on se trompe souvent, on ne fait que progresser dans des hypothèses qui s’emboîtent.

Quelle direction prendre ? La carte éditée d’internet n’est pas trop précise. Ouled Saïd ? Non finalement, on se décide pour le village plus à l’Est au pied des grandes dunes de sables. En fait, il y a beaucoup de pistes et même des morceaux de routes goudronnées. Va pour El Hadj Guelmane à 8 km. Le nom me plait bien. Il fait beau mais on est bien chargé. Les jardins entourés de murets en terre ou en palmes tressées offrent de reposantes tâches de verdure sur le fond ocre du sable. Cultures maraîchères, céréales, palmiers. C'est très beau ce contraste de couleur. L'eau c'est la vie. "Aman Imam". El Hadj Guelmane est un beau village. Au nord, les grandes dunes dont les foggaras extraient l'eau du sol

A l'ouest, 3 collines pointues et partout les tâches vertes des palmeraies. On installe notre tente entre le village et les dunes le long d'une canalisation qui draine l'eau d'un foggara vers le village. deux jeunes de 25 ans déjà croisés dans le village, Mardjane et Abderamane viennent faire la causette. Ils parlent mieux l'anglais que le français. En fait, dans les deux langues c'est assez laborieux. Ils sortent de l'Université africaine d'Adrar que nous avons vue hier. Je suis très impressionné par une des disciplines du programme : science islamiste ! Dans un mois, le service militaire, sans grand enthousiasme visiblement ! Il dure 18 mois dans n'importe quel coin du pays. Pendant que Gaby escalade la dune pour s'abîmer dans la contemplation du couchant et l'expérimentation de  la mécanique des fluides sablonneux (notion de pente critique), nous partons avec mes nouveaux amis ramasser des morceaux d'arbuste et des crottes de chameaux pour le feu du dîner auquel je les convie (pour une fois où c'est nous qui pouvons inviter !). Au menu : côtelettes de moutons grillées, tomates grilles, fèves. Abderramane, récupère une vieille bassine en émail pour faire rôtir les cacahuètes dans du sable chaud.

Le vent monte un peu en puissance mais jusqu'ici, rien d'inquiétant. La météo consultée en France indiquait bien une tempête pour cette nuit mais j'ai voulu ignorer cet avertissement. Avant le dîner nos amis s'éclipsent un instant vers la dune derrière la tente pour faire la prière. "Malesh", y a pas de problème, vous êtes les bienvenus. Nous avons une provision de bois pour au moins 1 heure. Au loin, à 5 km on aperçoit l'antenne du relais d'Ouled Saïd. Nos deux jeunes ont chacun un portable qu'ils consultent fébrilement en l'absence de tout appel. Dès fois que ce serait Allah lui-même qui viendrait demander des comptes sur la mise en application de la science islamique...

Dans la nuit, la tempête se déchaîne avec un vent de 80 à 100 km/h. Le sable crépite en frappant horizontalement la tente. La toile claque dans les bourrasques avec un bruit assourdissant. Mais le plus ennuyeux et ce qui va nous forcer à agir, c'est que par l'effet d'écoulement des fluides, le coté sous le vent de la tente se creuse mettant en péril l'équilibre de cette dernière qui risque de basculer. Impossible de dormir. Des étincelles électrostatiques se forment au contact du sable et de la paroi de nylon. Le sable s'infiltre partout, il n'y a rien à faire. A 4h30, il faut se rendre à l'évidence, partir, plier les affaires envahies par le sable, enfourner la tente dans le sac blanc en polyéthylène, repêcher les affaires déjà ensevelies et surtout se faire fouetter par le sable. Les yeux sont aveuglés très rapidement et il nous faut 15 mn pour descendre la dune le long du canal et parvenir au village (éclairage public !!!) pour se réinstaller sous le vent d'un mur et être ainsi protégé jusqu'au lever du soleil dans une ambiance cotonneuse.  Au matin, les yeux piquent terriblement, les portugaises sont ensablées (vraiment) et l'esprit est embrumé. Que du bonheur !

Le vent n'a pas cessé et il se renforce en cours de journée. Un arrêt à Ouled Saïd pour un sandwich à l'omelette graisseuse dans le réduit de 3 m2 qui sert d'épicerie bar au village. Une musique débitée par un auto radio bricolé nous casse les oreilles. Les murs sont tapisés de cartons d'emballage de cigarettes locales accompagnés de quelques joueurs de foot. Gaby est fatigué par sa nuit sans sommeil écourtée et surtout il a les yeux plein de sable. On tente un nettoyage dans la palmeraie à la sortie du village là où un tuyau laisse couler l'eau. 3 km plus loin, c'est Kali, le vent redouble avec de terribles rafales et une très faible visibilité (100m). Le ciel est complètement voilé pastel jaune donnant une lumière tamisée. Le sable projeté par le vent court le long du sol en autant de rigoles parallèles qui finissent par former un balayage continue au loin. Cheich et lunettes obligatoires si on veut se protéger un peu. Un long gémissement continu. Photos, vidéo mais dans quel état va-t-on retrouver l'appareil photo avec le sable fin qui s'infiltre partout ?

On parvient à un ancien lac intérieur salé asséchée, la sebka. Ce lac salé de 80 km de long offre un circuit sur son périmètre pour découvrir des sites archéologiques, abandonnés, témoins d’une histoire ancienne (Ighzer, Ouled Said). La Traversée de la sebkha emmène directement à la grand palmeraie de Ouled Said.

Sur le fond, un sol calcaire et dur qui se découpe en morceau. Lunaire avec une ambiance surréaliste par ce temps de tempête. Vers 14h, les forts en ruine (ksars) marquent l'arrivée à Ahgled. Quelques maisons ça et là et un petit vieux qui nous attend sur le pas de sa porte. Comment savait-il qu'on arriverait ? Depuis combien d'heures, de jours, de semaines, guettait-il note arrivée ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il qu'il revient à ma mémoire que Mohamed m'avait dit qu'il serait là. Donc il était là et c'est dans l'ordre des choses. Pas eu besoin d'attendre Beckett. Beckett habite à Ahgled. La porte de sa maison, unique ouverture de la pièce (il n'y en a pas d'autre à part un très modeste soupirail) donne sur la route. Sa maison se constitue d'une chambre et évidemment celle-ci est envahi par le sable. Il ne nous dit rien, à part de rentrer chez lui et nous sert le thé puis un petit couscous aux légumes. Un vieux ksar restauré à coté de sa maison fait office de chambre d'hôte mais nous préférons dormir chez lui.

LE THE

Le premier est amer comme la vie,
le deuxième est doux comme l'amour
et le troisième est léger comme la mort.

La vent souffle toujours avec un lancinant bruit de fond comme lors des tempêtes sur la mer. Il est temps de se poser et pour Gabriel de travailler. Philo hier, maths ensuite avec un gros paquet de photocopies à absorber. "Tu sais, c'est seulement un tiers de ce que j'ai à réviser pour le bac blanc de la rentrée". Sieste à l'ombre de la petite théière rouge. Le vieux médite derrière ses grosses lunettes épaisses engoncé dans son anorak vert, le regard perdu dans le lointain. Parfois il s'endort à moins que ce ne soit moi.

Presse :

Dimanche 25 Février 2007

Les tempêtes de vents de sables de ces derniers jours ont complètement paralysé la circulation sur la RN1, entre hassi fhal et el méniaa, et rendu toute circulation impossible, les vents de 100km/h sont parmi les plus violents depuis dix ans.
voir el khabar du 24 02 2007  http://www.elkhabar.com/quotidien/lire.php?ida=60794&idc=34

العواصف الرملية تحاصر عشرات الشاحنات وشلل بمدينة المنيعة

 

Le vieux parle mal le français aussi il fait appel à son voisin l'instituteur pour négocier avec nous le prix de sa chambre. Ici, on a honte de marchander, il ne faut pas le faire, les gens sont pauvres. Mohamed nous l'avait dit. Le voisin a 40 ans, 3 enfants, et 12 élèves dans son école. Le village est au bout d'une route terminus où il ne passe personne. Pour aller à Timimoun, il faut marcher une paire de km pour Kali puis attendre une voiture pour Oued Saïd et Timi. Quelques maisons plus ou moins en construction, des jardins sous les palmiers adossés à des dunes de sable et des Ksars en ruine.

Le vent se calme un peu et une petite pluie lui succède !! Il fait froid, on se croirait sur la plage en Bretagne et on est au centre du Sahara... Je pars marcher vers les dunes à l'horizon. Les dunes, c'est un paysage fascinant avec leurs courbes gracieuses, les lignes de crêtes, les différents plans qui se superposent, le contraste entre le sable mou sous le vent et le sable dur au vent. Des montagnes russes, des plis de vêtements jaunes/or qui recouvrent l'ancienne mer qui gisait ici il y a des millions d'années et dont on retrouve les traces (corail blanc) dans les restes de quelques forages d'eau ou d'hydrocarbure.

Au retour, l'instituteur raconte sa désillusion sur l'état actuel du pays. Il n'y a pas de stratégie, de méthode. Seul le président Bouteflika trouve grâce à ses yeux à cause de sa politique de "réconciliation" suite à la "décennie noire". Ça y est, je suis content, on a trouvé le terme pour désigner ce que Mohamed ne voulait pas appeler "une guerre civile"

 

Note historique (Wikipedia) : La décennie noire ou décennie du terrorisme fut un conflit armé entre le gouvernement algérien qui déploya l'armée nationale populaire et les forces de l'ordre et divers groupes islamistes qui commença en 1991. On estime qu'il coûta la vie à plus de 100 000 personnes. Le conflit se termina par la victoire du gouvernement, suivi de la reddition de l'armée islamique du salut et la défaite en 2002 du groupe islamique armé (GIA). Cependant, des combats continuent toujours dans certains secteurs.

Le conflit commença en décembre 1991, quand le gouvernement annula les élections après les résultats du premier tour, anticipant une victoire du Front Islamique du Salut (FIS), motivé par la crainte que ce dernier ne mette fin à la démocratie. Après l'interdiction du FIS et l'arrestation de milliers de ses membres, différents groupes de la guérilla islamiste émergèrent rapidement et commencèrent une lutte armée contre le gouvernement et ses partisans. Ils se sont constitués en plusieurs groupes armés, principalement mouvement islamique armé (MIA), basé dans les montagnes, et groupe islamique armé (GIA), basé dans les villes. Les intégristes ont au commencement visé l'armée et la police, mais certains groupes s'attaquèrent rapidement aux civils. En 1994, tandis que des négociations entre le gouvernement et les dirigeants du FIS emprisonnés étaient à leur maximum, le GIA déclara la guerre au FIS et à ses partisans, alors que le MIA et divers plus petits groupes se regroupaient pour former l'armée islamique du salut (AIS), loyale au FIS.

Peu après, les pourparlers échouèrent et une nouvelle élection eut lieu, remportée par le candidat de l'armée, le général Liamine Zéroual. Le conflit entre le GIA et l'AIS s'intensifia. Au cours des années suivantes, le GIA commit une série de massacres visant les voisinages ou les villages entiers, avec un pic en 1997 autour des élections parlementaires, qui furent remportées par un parti nouvellement créé favorable à l'armée, le Rassemblement National Démocratique(RND). L'AIS, soumis à des attaques des deux bords, opta en 1997 pour un cessez-le-feu unilatéral avec le gouvernement, alors que le GIA se déchirait suite à sa nouvelle politique de massacre. En 1999, l'élection d'un nouveau président, Abdelaziz Bouteflika fut suivie d'une nouvelle loi amnistiant la plupart des combattants, qui motiva un retour à la vie normale. La violence diminua sensiblement, avec la victoire du gouvernement. Les restes du GIA proprement dit étant combattus au cours des deux années qui suivirent, et avaient pratiquement disparu en 2002.

Cependant, un groupe dissident du GIA, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), basé principalement à la périphérie de la Kabylie, fut constitué en 1998, se dissociant des massacres. Visant l'armée et la police pour la plupart, il rejeta l'amnistie et poursuivit son combat. À l'heure actuelle (en 2006), ses activités comparativement clairsemées sont les seuls combats persistant en Algérie. Cependant, une fin complète des violences n'est pas encore en vue.

"Tu comprends, les contours des parties en présence étaient trop flous, on ne savait jamais qui intervenait des islamistes ou de l'armée, mais, c'est vrai, le nombre des victimes est très important..." L'histoire s'enfuit, elle s'enfouit dans le sable de l'oubli et des énigmes. Les morts ne sont plus là. Que lit-on dans les lettres qui racontent leur héroïsme ? Comme celle de l'oncle André Ratel dont le nom m'intriguait tant sur le monument aux Morts dans l'Église de Lyons à la rubrique 1914. Comment pouvait-on mourir en 1914 à Ypres ? J'ai eu la réponse il y a quelques jours.

        

Le vieux avec ses gestes lents et appliqués apporte le repas du soir dans la pièce aveugle éclairée maintenant par un néon bruyant. Sur la petite table basse en plastique (merci la Chine), on mange silencieusement le couscous dans le plat commun (carottes, pois chiche, fèves) avec quelques rares bouts de viande qu'il rajoute ensuite en les éparpillant de la main. Une salade des jardins vient compléter le tout avec le thé vert bien sur !

Il fait super beau le lendemain avec encore un peu de vent du Nord. En route pour Timimoun à travers les dunes et une partie de la sebkha. On fait chauffer le GPS, (mais la boussole suffirait). Au revoir Monsieur le vieux. Et dire qu'on ne lui a même pas demandé son nom...

Superbes dunes comme on les rêve, sable fin et jaune, montées, descentes, suivi des crêtes ourlées pour passer le plus possible à niveau et de préférence sur du sable dur. Ondulations, vaguelettes, mini avalanches au passage des crêtes. Un vrai rêve de gosse. D'ailleurs il s'amuse bien le gosse. Il mitraille avec l'appareil photo. Le naturel reprenant le dessus, parfois, il invente aussi de nouveaux sujets de philo pour le bac. Attention la sophistication.

Mais les dunes finissent par fatiguer les jambes à monter et descendre sans arrêt dans ce milieu mouvant en enfonçant parfois et sous un soleil devenu vigoureux. Les sacs sont lourds et on n'a pas pris assez d'eau (3 litres seulement) ! Oh les blaireaux ! Vers midi, en bordure de la Sebka, un arbre surgit au creux d'une dune. Mystérieusement, sur sa butte, il a survécu. Un conifère. On déjeune là avec un petit feu pour faire cuire les nouilles avec un restant de carottes. De redoutables fourmis dont c'est apparemment le domaine nous harcèlent grimpant dans les sandales et sur les jambes pour piquer. Elles sont assez grosses avec un dos argenté. L'endroit est donc impossible pour la sieste. Il faut traverser le lac asséché, puis une autre barrière de dune et c'est en vue de Timi (à 5 km) que nous siestons (comme on dit en Afrique). Il ne reste plus d'eau et on a la bouche un peu sèche. Il est temps de gagner  l'oasis en passant par la palmeraie.

En ville en retrouve l'eau, le téléphone pour appeler notre ami le commerçant qui arrive en mobylette et  avec qui nous réalisons encore quelques affaires autour d'un verre de thé : vannerie contre cassettes cette fois ci. Nous réalisons que notre ami vendait de superbes photocopies de cartes de la région qui nous auraient été bien utiles. Il nous recommande de prendre un âne pour la prochaine fois pour porter nos affaires. Bien plus utile qu'un guide et moins cher qu'un chameau. "Il faut que tu prennes plus de temps pour discuter avec moi pour les affaires" me dit-il lorsqu'on se quitte en fin de journée.

Gaby est fatigué de sa journée dans les dunes et il a envie de se poser dans un hôtel pour se laver (pas fait depuis 2 jours) et travailler. Il trouve que mes transactions avec l'honorable et sympathique commerçant sont longues et laborieuses. En fait, elles sont quasi amicales. Tout se déroule dans la confiance, sans agressivité, ni aucune tentative de rouler l'autre. Toujours pas de marchandage. Prix fixe, le juste prix et du premier coup. On se pose finalement à l'auberge de jeunesse à 1 km de là (1€ par personne). Quelques courses en ville, un dîner plantureux au restaurant près de la compagnie de bus

3- El Golea : "Il faut aller à la police maintenant"

Le chauffeur est là maintenant : une grande 504 break pour 6 personnes. Que des femmes avec nous ! Désert plat, caillouteux pas toujours très beau. C'est ça le désert, parfois du plat avec juste des cailloux. Gaby saigne du nez, le chauffeur a tout vu et s'arrête : "il faut mouiller le cheich et refroidir la tête". Attention à la trajectoire erratique des chameaux qui traversent la route. Des barrage de gendarmes autour de chaque petite ville. Vers l'heure du déjeuner nous arrivons à El Golea à 400 km de Timi.

Tout est fermé. La vie est arrêtée. Personne dans les rues. On est vendredi. L’oasis, encore une fois est très grand. C’est une ville de 50.000 habitants située en plein dans la palmeraie …. L’eau est abondante assez proche du sol, parfois même sous pression et le trop plein après irrigation se déverse dans 2 lacs qui constituent une réserve ornithologique avec des superbes couleurs et des canards. Quoi ? Vous ne connaissez pas l’eau minérale d’El Golea ? Une des plus fameuse en Algérie.

L’auberge de jeunesse est en restauration et Elisabeth vient nous y chercher pour nous amener dans un petit hôtel (8€ aucun client) près de son bureau, juste en face de l’aéroport (aucun trafic). Elisabeth est maintenant installée à El Golea depuis quelques mois bientôt mariée avec Nouredine natif de l’oasis. Elisabeth est belge et elle a beaucoup bourlinguée : le sud de la France, la Corse, la Tunisie, l’Algérie. Elle change d’horizon avec El Golea et lance la création d’une société d’éco-tourisme orientée vers le développement durable.

Très gentiment, Elisabeth et Nouredine nous font visiter en voiture les lacs pleins d’oiseaux migrateurs, la palmeraie avec ses terres fertiles (agrumes, poires, abricots, céréales, cultures maraîchères et bien sûr, les palmiers qui constituent la base de la richesse et du patrimoine de beaucoup de gens), le château fortifié (ksour) qui domine la ville et la palmeraie.

 Le plus émouvant à la tombée du jour, ce fut la visite de la chapelle en bordure du désert avec la tombe de Charles de Foucault. Quelques panneaux dans l'Eglise retrace sa vie jusqu'à sa mort en 1916. Charles de Foucault, espion ou héros, vient d'être canonisé par Benoit XVI. Hamdulah !

Mon Père, je m'abandonne à toi, fais de moi ce qu'il Te plaira.
Quoique Tu fasses de moi, je te remercie.
Je suis prêt à tout, j'accepte tout,
Pourvu que Ta Volonté se fasse en moi, en toutes tes créatures.
Je ne désire rien d'autre, mon Dieu.
Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne mon Dieu, avec tout l'amour de mon coeur,
Parce que je t'aime et que ce m'est un besoin d'amour
De me donner, de me remettre entre Tes mains,
Sans mesure, avec une infinie confiance.
car Tu es mon Père.

Charles de Foucauld (1858-1916)

Charles de Foucauld est né dans une famille riche et de haute noblesse. Il perdit son père tôt d'une maladie mentale incurable et sa mère de dépression. Élevé par ses grands parents dans le silence autour de ces événements tragiques, il ne put faire son deuil et développa probablement une "névrose" qui le poussa à la paresse et à la boulimie. Obèse à son entrée à Saint-Cyr, il ne pense qu'à faire la fête. Il mettra son immense fortune en péril au point qu'elle soit confiée à une tutelle. Bien qu'élevé dans la foi chrétienne et très marqué par la foi de sa cousine, il est athée et cynique. Mais trois coups de foudre vont changer sa vie...

D'abord les déserts du Maroc où il est envoyé en garnison. Il monte un projet fou d'exploration déguisé en un misérable rabbin itinérant (1883-1884). Aventure fabuleuse (20000 km parcourus à pied au milieu de mille dangers) qui lui vaudra un prix académique pour une description géographique de régions où les français ne peuvent s'aventurer. Deuxième coup de foudre pour une pieuse jeune femme avec laquelle il construit un projet de vie. Parti la présenter à sa famille, il réalise qu'il ne peut se marier avec une roturière, ni imaginer que ses enfants n'aient pas 100% de sang noble. Rupture mais elle priera pour sa conversion toute sa vie. Désemparé, il part dans le désert où il se rend alors compte qu'il n'est pas seul! Il se décide donc à mieux connaître ce Dieu dont il vient de découvrir la présence aimante et va voir le directeur spirituel de sa cousine. Confession (longue), réconciliation (fulgurante) et eucharistie où il "goûte" la présence réelle (1886). Dès lors, il chemine, paisiblement, avec maintenant au centre de sa vie l'amour du Christ et sa présence eucharistique. Désir de pauvreté absolue qui le conduit à la Trappe (1890), puis ermite à Nazareth car la Trappe n'était pas assez pauvre pour lui! Longues années d'ermitage à Nazareth, à côté du couvent des clarisses, rythmées par l'adoration, l'oraison et la méditation des écritures. Discernement très long sur sa vocation aussi. Il a un profond désir d'abandon à la volonté de Dieu mais ne sait pas toujours la distinguer malgré son union très profonde au Christ. Peu à peu son amour exclusif du Christ sera habité également par un amour de ses frères. Il mettra des années à réaliser qu'il est appelé à être prêtre (1901), et au milieu des incroyants (1905). Il sera donc envoyé chez les Touarègues en plein Sahara, à Tamanrasset, sans aucune chance de les convertir. Abandon total. Au point qu'il ne peut dire la messe que si un chrétien l'assiste, c'est à dire seulement quelques jours par an quand des soldats passent. Il recueille les pauvres, les malades, rachète les esclaves avec l'argent qui doit lui servir à se nourrir. Pour tout dire, il ne mange ni ne dort presque pas! Il est le confident du roi des Touarègues et jouera un grand rôle pour la paix dans le Sahara. Il écrit un dictionnaire français-touareg et traduit leurs poèmes. Missionnaire atypique, il comprend qu'il ne sert à rien de baptiser les incroyants sans tout d'abord les inculturer dans l'esprit évangélique. Il aura toujours vécu ses grandes épreuves dans un grand abandon (d'où la prière que nous connaissons tous!) et un amour incessant du Christ. Son désir du martyre dans la souffrance ne sera pas exaucé puisqu'il sera assassiné à la sauvette par des brigands. Si sa sainteté ne fait pas de doute, sa canonisation semble problématique à cause de nombreuses extravagances du personnage (procès de béatification commencé en 1926).

Un martyr du désert entré en Algérie dans les fourgons de l’épopée coloniale. Mais défendant néanmoins les « indigènes » contre les excès de la colonisation.

A la tombée du jour, nous sommes en centre ville devant le monument aux morts de la guerre d’indépendance. Chacun les siens mais les leurs c’étaient contre nous. Dans le restaurant Kabyle – « le seul convenable » -  Elisabeth nous parle de ses projets : tourisme équitable, location d’engin de BTP pour les chantiers locaux, et bien d’autres pour lesquelles elles vient d’obtenir l’agrément en soutenant ses dossiers devant une assemblée de la ville. « Elle ressemble à Louloute » me confie Gaby. De la race de ces femmes entreprenantes et débordantes d’énergie.

De retour à l’hôtel, beaucoup de personnes de la famille ou de l'entourage du propriétaire gravitent dans le hall. Faute de clients, ils occupent eux-mêmes les chambres. Gaby prend la douche et subitement le fils du propriétaire vient me chercher. Il a une licence d’économie (Université d’Alger) mais  pas de boulot. Il revient de livrer un camion de 20 tonnes de dattes au Mali. De l’alimentaire !

« Une urgence » me dit-il le visage grave. « Il faut aller à la police ». « Quand ? » je demande. « Maintenant ». Il est 21h30, va pour la police, mais j’aurais préféré lire un peu au lit. On imaginait bien qu’un jour ou l’autre il faudrait en passer par là. Il y a peu de touristes dans le pays, donc les rares présents doivent un peu intriguer et vite être soupçonnés d’être de la graine d’espion ou de terroristes ! La 404 du fils (j’ai pas dit le FIS !) est bien pourrie. « Tu sais, normalement, elle ne sert que pour le jardin » et il faut la garer un peu à l’écart de l’entrée de « la police » pour conserver les apparences. Dans le hall, quelques fonctionnaires font une crise d’autorité mais contre qui ? Où est le passeport ? Le visa ? Le nom du père ? Le nom de la mère ? L’adresse ? Le numéro ? L’occupation ?  La date d’expiration ? La date d’effet, La date d’entrée en Algérie, Le numéro ? Bref la liste est longue de tout ce qui les empêche de dormir dans cet oasis en plein cœur du Sahara.

Avec le fils du patron, on entreprend de leur demander sous quel format ils souhaitent disposer de toutes ces données puisque manifestement, tels qu’elles étaient déjà renseignées sur la fiche d’hôtel cela ne leur convenait pas. « Papier libre » est la réponse du chef manifestement excédé. Nous sortons rassurés. Le fils du propriétaire est bien embêté que tout cela arrive à l’unique client de l’établissement. Et encore plus, quand il constate que la voiture destinée à convoyer ce client refuse de repartir même en tentant les combinaisons et bidouillages de fils électriques les plus improbables pour actionner le contact ! « Tu sais, le policier, le noir, il t’a vu à la mosquée aujourd’hui ». « Et alors ? » Explication confuse surtout quand je lui récite les premiers versets du coran, sésame magique contre toute accusation d’être un infidèle. « Tu es musulman alors ? ». « Qu’est-ce que tu crois ? ». Il est croyant. J'en sors grandi. A ses yeux du moins.

La voiture reste désespérément muette sur le trottoir. Après le coup du poste de police, c’est le pompon. « Tu sais, c’est juste la voiture du jardin ». Il lève les yeux vers le ciel. Le ciel est noir, c’est normal, c’est la nuit. Inspiration. Il prend le portable et compose. « J’appelle mon cousin, il est taxi ». On rentre à l’hôtel avec le cousin et, dans le hall, après une grande bouffée d’oxygène, on s’attaque au pensum bureaucratique de la soirée réclamé par la police : la déclaration sur « papier libre ». Fallait-il rajouter des aveux ? Devais-je m'inventer quelques crimes nouveaux comme si ma liste n'était pas déjà assez longue ? (comme celui d'avoir une fois traversée la Seine clandestinement étant jeune). Les ombres de Joseph S. et de Béria planent au dessus de nos têtes … illustrée par le film de Costa Gravas.

Et pendant ce temps, le « petit maître » échappant aux affres de l'histoire, a travaillé tranquillement dans son lit. Non sans avoir une fois de plus bouché les cabinets en y mettant du papier ce pour quoi ils ne sont pas conçus dans ces pays (poubelle disponible à cet effet et consigne souvent répétée) ! Peut-être faut-il en parler à la police aussi ? Et sur quel papier ? Papier libre je vous dis. Enfin, libres, nous le sommes. Au moins de dormir cette nuit.

Un incontournable de la visite d’El Golea c’est le petit musée sur la place, à coté de la mairie. On s’y rend après être passé au bureau d’Elisabeth et Nouredine (qui ont bien rigolé de ma virée d’hier à la police).

On se trompe de direction pour trouver l’entrée du musée. Un vieil homme bougon engoncé dans un anorak vert délavé nous interpelle avec un ton bourru mais un accent bien français. « Mais vous allez où donc par là ? L’entrée du musée est à gauche ».

Pas de doute, c’est bien lui, le père « blanc », le Père Le Clerc. Un des monuments de la ville. Peut-être aussi un peu la réincarnation de Théodore Monod, le grand saharien mort récemment.

Musée fantastique, délicieux, vieillot à souhait comme on les aime. Sans aucun visiteur bien sûr comme tous ces musées. Des fossiles, une histoire géologique de la région, la préhistoire du Sahara, la tectonique des plaques, l’action du vent, les gisements de gaz, tout quoi. « C’est ce que j’apprend en ce moment au lycée ! » souligne Gaby. Ah tant mieux. Le père explique.

C’est « son musée », il a été réalisé avec beaucoup d’objets provenant de ses explorations et religieusement conservés ici. Une sorte de temple. Il en est devenu le conservateur-gardien depuis que l’Etat ou la ville l’ont repris. Il a 80 ans bien sonnés et a toujours vécu dans la région dont il connaît les moindres recoins et habitants (ragots compris). « Ils veulent me faire rentrer à Paris, mais moi, je reste ici ». « Bon, c’est l’heure du déjeuner, je ferme le musée » nous dit-il en nous poussant dehors après avoir rassasié notre curiosité et répondu à nos nombreuses questions. Son sac en plastique (ici le problème du recyclage des plastiques n’est pas encore à l’ordre du jour) est déjà rempli de la salade achetée ce matin au marché. Ici, même blanc, même après la décolonisation, il fait partie des meubles.

A la station de taxi, (les 504 breaks jaunes), Elisabeth et Nouredine viennent nous apporter nos affaires et dire au revoir. Nous apprendrons une fois arrivés qu’ils ont payés le taxi pour nous. Délicieuse et incroyable attention.

Attendre que le taxi soit plein. Cela prend un peu de temps mais tout est si facile ici, sans stress, ni méfiance. Juste attendre pour que les choses se fassent comme un processus de lente maturation. C’est l’Afrique. Mohamed rappelait le proverbe : « vous avez la montre, nous avons le temps ». Et toc !

Gabriel s’endort dans le taxi en attendant le départ et après avoir un peu  travaillé. Je suis resté dehors sur un muret à discuter avec mes voisins. Pouvoir discuter. Quelle chance ici avec le français … Les conversations s’alanguissent et parfois repartent avec un fond d’éclat dans la voix propre aux dialogues en arabe. La voix vient subitement se percher avant de reprendre la conversation normale et parfois même celui de la confidence comme dans une scène de théâtre. Cela est particulièrement marqué lors de l’arrivée d’un nouvel interlocuteur ou une interruption de dialogue. Comme une feinte, un faux étonnement. Parfois toute cette dramaturgie linguistique se dégonfle d’un éclat de rire. Un mélange d’arabe et de français pour renforcer la précision du discours.

L’activité dans l’oasis est rythmée par le soleil et les horaires de la prière à la mosquée. En quelques minutes cela peut passer de l’activité bourdonnante toutes échoppes ouvertes aux rues désertiques, cafés fermés.

Tout doucement, le téléphone portable se répand dans les couches de la population ainsi que les cyber-cafés pour les gens instruits.

Le chauffeur, notre chauffeur tente désespérément de remplir son véhicule en lançant à la ronde des « Ghardaïa, Ghardaïa ». Comme si cela allait faire venir subitement de nouveaux clients alléchés par une improbable promotion tarifaire. Des clients qui, par pure distraction n’auraient pas su où se trouve la gare des taxis. « Il reste une place à remplir » me confie-t-il gentiment. Il est temps de remettre de l’huile dans le moteur.

« En 1988, j’ai été en France, à Alès » me dit mon voisin. Il est temps de mettre le moteur en route et de monter le ton pour attirer le dernier client et remplir la dernière place. « Mon père travaillait dans les travaux publics à Metz, maintenant, il est rentré au pays pour sa retraite, moi je ne suis jamais allé en France et je tiens cette pâtisserie à El Golea » me raconte le pâtissier. « Les affaires ? Ça marche comme ci, comme ça ». Avant la réponse, le ton est monté très haut dans les aigus. Signe de gène ? « Parfois, je vais  dans le nord, il y fait moins chaud et c’est quelqu’un d’autre qui tient la boutique ».

Magie du français au Maghreb. On peut parler à (presque) tout le monde. Tout est compris (ou presque). « Soyez les bienvenus, vous êtes ici chez vous » nous dit un ancien policier. Comme s’il y avait une pointe de regret que nous n'y soyons plus « ici ». Ou bien le temps a fait son travail de lessivage des mémoires. « Maintenant, je suis à la retraite et je viens faire quelques affaires ici ». Lesquelles ? Nous ne le saurons pas. Nos voisins de l’autre coté de la Méditerranée. Nos cousins de la nouvelle France pluri ethnique. L’anglais progresse aussi chez les jeunes

4- De la vallée du M'zab à Tipaza

Au soleil couchant, le désert s’enflamme, les dunes révèlent leurs moindres replis tenus cachés dans la journée, l’immensité du désert se déploie, comme une carte routière avec le mince ruban de la route et le défilement des bornes pour humaniser le paysage. L’auto radio égrène une musique aigrelette puis le chauffeur la coupe. Silence dans la Peugeot. C’est le moment de la prière. Un vrai arrêt à 19h permet de faire la « vraie » prière à laquelle le chauffeur me propose de me joindre puisqu’il m’a pris pour musulman.

La ville de Ghardaïa est très grande, constituée de gros villages sur des collines reliées entre elles. Le chauffeur nous dépose devant l’hôtel Rym (12€) à 20h30. Au programme : sciences et vie de la terre (SVT) pour Gabriel pendant que je vais me perdre dans le labyrinthe des petites ruelles de la ville mozabite de Beni Isguen. Interdiction de s’y promener sans guide. Je finis par me faire repérer par deux vénérables mozabites. « Tu sais, on n’a pas le droit de visiter Beni Isguen la nuit, c’est une ville sainte. Ça fait 20 ans que je n’ai pas vu un touriste la nuit ici ».

Le  Mzab et les mozabites (Wiki) : Les Mozabites  ou Beni-Mzab  sont un peuple berbère de la région du Mzab algérien, pour l'essentiel musulman ibadite, et parlant le mozabite. Ils constituent actuellement 60 % des habitants de la vallée. Le Mzab ou M'zab est une région du centre de l'Algérie, située à 600 km au sud d'Alger, dans la wilaya de Ghardaïa. Le Mzab est un plateau rocheux dont l'altitude varie entre 300 et 800 mètres. Ce relief, qui date du crétacé supérieur, se présente sous la forme d'une vaste étendue pierreuse et de roches brunes et noirâtres. L'oued M'zab traverse ce plateau du nord-ouest vers le sud-est.

A l'origine le Mzab était un ensemble de 5 oasis de 72 km² à 600 km au sud d'Alger : Ghardaïa, Beni-Isguen, El-Ateuf, Mélika, Bou Noura et de deux oasis isolés plus au nord.

La région a été peuplée par des communautés troglodytes à partir du néolithique. On connaît assez mal ces premiers habitants. En tout, le Mzab a vu naître 25 cités aujourd'hui disparues.

À partir du IXe siècle, le Mzab, jusque-là peu peuplé, devient le refuge des Ibadites berbères appelé Mozabites.

Depuis le XVIIIe siècle, la région accentue son rôle de carrefour commercial caravanier de l'Afrique saharienne, autour de produits tels que les dattes, le sel, l'ivoire, les armes, mais aussi les esclaves. La présence de Mozabites installés dans les villes du Nord du Maghreb telles que Tunis et Alger confirme leurs capacités commerciales.

Après la capture de El-Aghuat par les Français, les Mozabites concluent avec le gouvernement d'Alger une convention qui les engage à payer une contribution annuelle de 1800 francs pour obtenir l'autonomie. En 1853, la Fédération des sept cités du Mzab signe un traité avec la France, le texte garantit une autonomie à la région. Mais les incursions répétées de nomades poussent la France à annexer le territoire en 1882. Les Français ont à partir de cette date développé un système d'irrigation dans les oasis.

 

Image:Ghardaia.jpg

 

Sandale ou basket ? A cette époque de l’année, Ghardaïa marque la limite des territoires où la température change en remontant vers le nord comme nous le faisons. En tout cas, c’est tempête de ciel bleu au travers de la mince ouverture vers le ciel que l’on trouve dans l’espèce de loggia toute blanche destinée, l’été à lutter contre la chaleur.

A 9h30, c’est tard pour émerger. « Hé, tu sais, c’est plus l’heure, nous dit le patron mais attends, je vais faire quelque chose pour toi ». La politesse arabo-musulmane. Prendre le temps de se saluer, resaluer, prendre des nouvelles. C’est créer ou entretenir la relation, c’est soigner l’interface comme on dirait aujourd’hui avec le vocabulaire informatique.

Après la visite de Melika de l’autre coté de l’oued, nous prenons la visite guidée (obligatoire) de Beni Isguen faite pour nous deux par un honorable mozabite retraité, charmant et plein d’histoires. Avant la décennie noire, il nous raconte que dans le village, il y avait parfois plus de touristes que d’habitants.

On se connaît bien de part et d’autre de la Méditerranée. Entre 1979 (fin du régime des autorisations de sortie du territoire algérien et 1986 (instauration des visas d’entrée en France pour les algériens), on circulait librement et on venait faire du tourisme en France (sous réserve de le production d’un document de congés attestant que l’on avait un travail). Tous les vieux ici (le Mzab n’est pas pauvre) peuvent souvent vous parler de Barbès, de Noisy le Sec, de Lille et aussi de Charonne …

Sur la place, un marché aux enchères entre particuliers où mon acheteur casse la transaction commerciale avec moi ce qui est contraire au code de l’honneur musulman (mais pas aux lois Scrivner en France sur les délais de rétractation) 

A la pharmacie, Gabriel est très surpris que l’on puisse acheter les médicaments sans ordonnance, juste en discutant avec la pharmacienne. La pizza du dîner (double ration) permet une longue conversation sur les élections en France.

Ici, l’essence est à 0.20€ le litre soit 6 fois moins qu’en France : le paradis de la mobilité pour les aficionados de l’énergie fossile. La vie est 3 à 10 fois moins chère, les marchés des oasis regorgent de légumes tomates, fèves, choux fleurs, courgettes, poivrons, aubergines …. Les négociations sont toujours très cool, sans "hard selling", sans agressivité, ni démonstrations de force ou posture offusquée. Tenons nous le pour dit : en Algérie, on ne marchande pas, on s’excuse juste de ne pouvoir acheter et le vendeur affirme que cela n’a aucune importance et qu’il vous conserve toute son estime.

Il fallait quand même passer par la case « tapis ». On s’était entraîné un peu avant en visitant 2 ou 3 boutiques juste pour tâter le terrain. Et bien, croyez le ou pas. Acheter un tapis en Algérie est une affaire facile. Le marchand est toujours gentil, jamais mercantile-racoleur agressif-hautain ou obséquieux. Il montre, il explique, il propose. Il ne ruse pas, ne ment pas et ne triche pas sur la qualité, les ingrédients, les motifs, le nombre d’heures de travail fait très peu de retape. Bah pour la forme, on a bien demandé une remise et, presque comme si c’était une bizarrerie à la quelle la politesse interdisait de se soustraire, le marchand a consenti 10% de ristourne. Tout le monde était content et il fallait faire vite, l’échoppe devait fermer à cause de l’heure de la prière et, avec la prière, on ne badine pas.

Dans les ruelles tortueuses de Ghardaïa (la ville), les enfants reviennent de l’école, et les femmes, telles des cyclopes, fantômes bâchés de voiles blancs, reviennent du marché. 

Les années noires ont un peu touché Ghardaïa. Les islamistes se seraient repliés sur la ville. L’un d’entre eux en serait même originaire. Ils auraient dépouillé des clients de l’hôtel de leurs voitures et assassiné quelques personnes dans la ville sans raisons apparentes. La route Ghardaïa – Ouargla était impraticable la nuit. La politique de Bouteflikha consiste maintenant à passer l’éponge, réhabiliter les islamistes, les aider à « repartir dans le droit chemin » mais en les surveillant étroitement. Et au moindre faux pas, geste de la main au travers de la gorge !

L’Algérie a du avoir très peur et l’histoire n’est pas finie d’être écrite. Il reste bien des zones d’ombre sur la responsabilité des uns (islamistes) et des autres (l’armée). Ce qui est sûr c’est que à la fin des année 1980, le pays allait mal : endettement lié à la chute des cours du pétrole, mécontentement populaire face à un pouvoir discrédité ayant accumulé les privilèges et pratiquant la corruption à grande échelle. Un pouvoir qui n’avait rien trouvé de mieux que de remplacer le pain manquant par les mosquées (financées de l’extérieur). Qui sème l’islam récolte la tempête et le terreau est là pour le terrorisme. Difficile d’y mettre ensuite le holà.

Que reste-t-il de tout cela ? Certes beaucoup de morts innocents. On s’attendait à de la méfiance et de l’hostilité. Rien de tout cela. Des gens charmants et respectueux des autres, d’une politesse exquise (« bienvenus, vous êtes ici chez vous »), disciplinés. Salmaleikum ! Aleïkumsallah. Labès ? Labès ! Hamdullah. Geste de la main sur le cœur. Jamais nous n’avons eu le moindre racoleur aux trousse ou le moindre regard appuyé. C’est le sourire, l’aide si demandée, la discrétion. « Malesh » (« il n’y a pas de problème »).

« Moi, je travaille, je fais des boulots à droite, à gauche, coiffeur, carreleur, maçon, marchand ». Ceci permet d’illustrer la discussion sur le chômage avec Gaby.

Omniprésence du téléphone portable : les adultes l’utilisent pas mal et les ados comme partout, se contentent de le tripoter et faute d'appels, ils consultent les tonalités possibles de leurs sonneries toutes plus exotiques les unes que les autres. Et des enfants et  des ados, croyez moi, il y en a beaucoup en Algérie. Nation jeune. La guerre d’indépendance est maintenant au programme des livres d’histoire. L’avenir est devant. A condition de ne pas se retourner.

Gaby bosse ses photocopies dans la salle de télévision. Ouf, grâce à cette ruse, on a évité d’avoir à transporter des caisses de livres, d’annales de bac et de cahiers comme lors de notre dernier tour de France en janvier. Je repars dans la soirée pour visiter la palmeraie de Beni Isguen. L’eau n’y est pas profonde : 5 à 8 mètres mobilisée par des barrages, des puits et des pompes électriques : palmiers, citronniers, orangers (« quand ti tailles, il faut laisser le centre très aéré et ouvert pour faire passer le vent et le soleil. Comme ça, ti évites les maladies. Mais ti ne dois pas trop tailler les extrémités sinon l’arbre il va mourir » me conseille un jardinier en action).

Figuiers, vigne, cultures maraîchères, jardins d’Eden enserrés dans  des murs entre lesquels courent des petites ruelles. Au dessus, le plateau caillouteux est aride.

De retour à la tombée du jour, les pieds fatigués de beaucoup de marche. Gabriel a remplacé les SVT par la télé par satellite (80 chaînes en majorité arabes, du Golfe arabo-persique au Maroc). Devant une telle abondance, on se rabat sur une valeur sûre : Tom et Jerry de la Metro Goldwing Mayer. De la terrasse, le village de Ghardaïa au soleil couchant s'embrase comme on dit dans les cartes postales.

Le bus est facile et ponctuel à 21h. Après un arrêt à Laghouat (1.200m), c’est la grande gare routière d’Alger à 5h30. Mon Dieu que tout cela va vite. On est déjà de retour sur les bords de la Méditerranée et le jaune du Sahara est maintenant remplacé par le blanc du calcaire et des immeubles Haussmanniens de la capitale dans un jour qui tarde à se lever.

Dans Alger encore endormie, un taxi nous conduit pour 2€ à l’hôtel des Étrangers (!) juste derrière la place Port Saïd. Merveilleux hôtel inchangé depuis la décolonisation : ni les vieux téléphones en bakélite noir, ni le vieux standard téléphonique en bois avec les fiches, ni le carrelage, ni la rampe, ni les balcons en fer forgé n'ont du bouger. L’ascenseur antique ne fonctionne pas depuis longtemps et la crémone de la porte fenêtre du petit balcon n’existe plus. « Ça ressemble à l’appartement d’Antoinette à Nice » remarque le fin observateur qu’est Gaby trop fatigué par cette nuit sans sommeil et qui s’écroule pour 2 heures de sieste matinale. « Tu sais, je te l’avais dit, c’est un vieil hôtel » me susurre le patron (Geste de la main) à qui je fais remarquer que la douche ne fonctionne pas. « Tu prends l’eau dans le lavabo avec la bassine et tu te laves avec ». Lumineux. « Quand tu passeras en Kabylie, viens dans ma famille, tu seras le bienvenu ». Superbe hôtel des « Étrangers » qui nous laissera quand même quelques douloureux boutons de puces une fois rentré en France !

Peut-on penser à Alger sans évoquer Camus (et surtout quand on loge à l'hôtel des Étrangers) ? Non, bien sûr. L’auteur de "L’étranger" est bien présent chez toute personne qui s’aventure dans ces terres méditerranéennes. Camus est l’auteur qu’on découvre dans le secondaire et qui constitue une sorte de rite de passage littéraire vers le monde des adultes avec ce qu’il a de beau et d’absurde à la fois. « La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie », le genre de formule définitive qui vous marque à jamais un adolescent par son coté trivial et désespérant en vous donnant envie de poser vos bagages (à l'hôtel des Étrangers ?). Il y a un Camus qu’on pourrait qualifier de « solaire » celui qui chante la beauté d’une nature violente et douce. C’est dans « Noces » que l’on retrouve les plus belles pages. « Noces » et aussi « L’Étranger » se déroule à Tipaza, un site romain sur la cote à 60 km à l’ouest d’Alger. C’est pour cela qu’on est revenu plus tôt à Alger. Pour Tipaza. Il se peut que, dans certains cas, on consomme plus la poésie évocatrice des mots (Samarkand, Tipaza, Vienne)  que les lieux que l’on visite toujours d’une manière contingente.

A 9h30 on se rend à pied à la gare routière de Tafoura juste devant la Grande Poste. La rocade intérieure (périphérique) d’Alger est très chargée à cette heure là. Beaucoup de policiers et de gendarmes surveillent le trafic et dressent des barrages. Comme partout en Algérie. On apprendra plus tard qu’il y a eu 2 attentats hier. 2 autres en centre ville, un mois plus tard. Le GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), dernier carré des combattants du GIA qui n’ont pas encore déposé les armes, s’est transformé en Al Khaida Maghreb. Il faut bien se mettre au (mauvais) goût du jour.

Le long de la route, des petits jardins maraîchers le long de la mer. Etroits et protégés du vent par des haies de roseau ou des serres en plastique. Au GPS, Paris est à 1.362 km et notre altitude est de 1.5m. Le site romain de Tipaza ferme à midi. On a juste le temps de traîner sur le port pour photographier les vagues et manger des sardines grillées. « Revenez nous voir, vous êtes ici chez vous » dit le marchand de sardines désolé que nous n’en ayons pas mangées plus. 

Tipaza d’après Wiki (arabe : تيبازة) est une ville côtière située à 70 km à l'ouest de la capitale Alger. Tipasa est à l’origine une fondation punique en Afrique du Nord. Comme toutes les villes du bassin méditerranéen, Tipaza est devenue romaine – dans la province romaine de Maurétanie césarienne, puis chrétienne.

La présence de la mer, des reliefs du Chenoua et du désert donnent un paysage particulier et d'un intérêt touristique. De nombreux vestiges puniques, romains, chrétiens et africains attestent de la richesse de l'histoire de cette colonie.

Histoire
Les Phéniciens y ont fondé un comptoir vers le Ve siècle av. J.-C. La ville connaît son essor sous le roi numide Juba II et devient avec Caesaria (actuelle Cherchell) l'un des foyers de la culture gréco-romaine en Afrique du Nord. Tipaza avait alors le type de la ville punique car elle se situait dans l'aire d'influence de Carthage. Sous l'empereur romain Claude Ier, Tipaza prend le statut de municipe latin et se dote d'une muraille longue de plus de deux km. Hadrien éleva par la suite Tipasa au rang de colonie honoraire. La ville occupe une place importante dans les provinces de Maurétanies. Tipaza fait alors partie de la province de la Maurétanie Césarienne mais a, en tant que port, une importance moindre que Caesarea. Son traffic maritime étant réduit à du cabotage 

Le site archéologique de Tipasa contient divers vestiges, dont les restes d'une basilique. Cependant la plus grande ville de cette wilaya est Bou Ismaïl. Les populations habitant ses montagnes sont berbérophones du dialecte dit Tachenouit, ainsi qu'à Cherchell et Tenes.

Tipaza est magnifique sous le soleil et le ciel qui se dégage avec le dégradé des différents bleus de la mer en toile de fond. Une beauté violente, celle du monde méditerranéen que nous partagions depuis des siècles avec des gens qui sont nos cousins et frères : les grecs, les romains, les berbères, les turcs, les arabes. 

Le temps du monde balisé (et fini) commence. Avec l’espace : c’est la mondialisation. Avec le passé : c’est la meilleure prise de conscience de nos origines et de nos racines. Avec le futur : c’est l’épuisement des ressources et la possible altération irréversible de notre planète.

Les fleurs sont déjà là, notamment les lys. Au retour, avec le soleil dans le dos, une lumière douce donne une teinte dorée aux collines et aux petits champs bien verts (il a beaucoup plu récemment). On est loin du désert et de ses dimensions abstraites et brutales. Le monde méditerranéen est fait d’équilibre : la mer, la terre, le vert, l’ocre, le blanc du calcaire, le rouge de l’argile.

« Tu vois, ce sont les mêmes voitures qu’en France » observe Gaby dans les embouteillages du retour à la capitale. Beaucoup de gens nous reconnaissent dans la rue : le changeur au noir de la place Port Saïd, le vigile de sécurité de Toulouse (depuis 40 ans en France « Tiens, regarde mon passeport français ») qui rentre demain en bateau en France, un homme rencontré ce matin à la gare routière de Tafoura, le serveur du petit restaurant de quartier à coté de la mosquée de Ketchoua.

Marches usées de l’escalier de l’hôtel, Alger comme une province lointaine. Le carrelage a au moins 100 ans. Aux murs dans les couloirs, de très vielles photos d’Alger. Le serveur prépare lui-même les tartines du petit déjeuner : baguette, beurre, confiture comme partout dans le pays. Accompagné de café au lait.

Des sigles d’entreprises compliqués sur les quais le long du port, la vie qui se serait arrêtée un peu. Peu de choses auraient changées depuis le temps des photos aux murs de l’hôtel. Une Franc vieillotte. C’est l’impression que donne le centre d’Alger. Pour Gaby qui aime bien retrouver la France à l’étranger, l’Algérie pourrait remplacer la Guyane dans son cœur.

Beaucoup de fouilles, de contrôles, de filtrages lors de l’embarquement. « C’est classé comme un vol sensible » nous dit l’hôtesse d’Air France. A cause du détournement du vol Alger -> Paris de 1994. Gaby réussit quand même à s’infiltrer dans le cockpit avec la permission de décollage. La France est sous la pluie, Paris est maussade, les employés de la RATP font la gueule quand on pose une question. « Tu le sais bien, pourquoi voudrais-tu que cela ait changé. C’est comme cela ». La force des choses. Et comme chacun le sait (c'est d'Albert Camus) : "la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie".