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Dubrovnik to Corfu

August - September 2011

  

 

         

Dubrovnik

      

 

   

     

Kotor

 

   

     

  

Building : before, after

   

Angry with  enemy (western countries, and neighbors), then with friends (Soviet countries and their satellites), then with ennemies of their ennemies formerly providing help : communist China) : in Albania, during communist time, enemy was everywhere. Have to protect. Individual response :  small communist bunkers. Now the past looks like  ruins of a "stroumpf" village. "Mirupafshim" communism (good by communism). They have to get rid of it. But it's hard to destroy a bunnker ... Have some ideas ?

         

Landscape - Paysages

       

   

Up lake from Koman to Fierze

      

Old otoman town of Gjirokastër

     

The white city of Berat

   

Communism ? A very old planet

 

Flying, cycling, sleeping, refeshing, thinking, washing, eating and all that sort of thinks I cannot describe

     

     

So friendly people I meet on the road

   

   

   

       

   

Mixing christian church and muslim mosk in Macedonia ?

At least, road victims have a face and memorials

       

 

Nature and lakes again

         

Narow streets of Dubrovnik, Kotor and  Corfou

Orhid lake shore

   

Albanese riviera still lwild but not for long. After the very secrete submarine base of Porto Palerma come the tourists

Corfu : 2000 jew people fefore the war and now ? 80 I think

   

   

   

    

 

J j date Legs  km cycling  D+ (m) Accom.. Hightlight
1 J 25/8 Paris - Dubrovnik (06 PM)        2     Hôtel Dubrovnik hot and crowded, but nice
2 v 26/8 Gruda (15 km south of Cavtat)       15   200 Biv. Dubrovnik + boat to Cavtat
3 s 27/8 Kotor (20 km above ; 800m high)       88   1 400 Biv. Perast, Kotor
4 d 28/8 Virpasar (12 km after city)       92   2 240 Biv. Cetinje, Shkoder lake
5 l 29/8 Shkoder       71   1 420 Hotel Lac, Shkoder
6 ma 30/8 Valbona (Shkoder -> Koman by bus)       42   1 050 Biv. Ferry from Koman  to Fierze ++
7 mer 31/8 Krume       97   1 700 Hotel Hills + rear sun and wind,  new asphalt
8 j 1/9 Radomire (30 km before Peshkopi)       77   2 135 Invitation Long, denivelé ++
9 v 2/9 Kalista ( Ohrid lake ridge)     114   1 260 Camping Nice gorges, Ohrid lake ++
10 s 3/9 Korce       82   900 Hotel Ohrid  lake ++, Korce
11 d 4/9 Permet (20 km before Permet)     116   1 825 Biv. Not bad, hard cycling ++
12 l 5/9 Gjirokaster       82   1 560 Hotel Gjirokaster
13 ma 6/9 Oricum (20 km after Vlore)       20   150 Biv. Berat city (bus)
14 mer 7/9 Piqueras (30 km before Sarande)       81   2 200 Biv. Nice, long, up and down  ++
15 j 8/9 Corfou       50   750 Biv. Sarande, Corfou
16 v 9/9 Corfou (airport)       48   300 Aéroport Corfou, Achiléos, Pontikonissi
17 s 10/9 Athen, Paris       10   20    
      Total  1 087   19 110 80 km/day

bike : 17 kg / fret : 13 kg

 

Notebook (french version)

Dubrovnik to Corfu

 

            

     

1- Où dormir sur les routes de montagne ?

Peut-on traverser un pays en vélo sans jamais être menacé par les chiens ? Oui, on le peut pour ce qui concerne l'Albanie. Et pourtant, des chiens, il y en a pas mal en Albanie,  à cause des troupeaux à garder. Mais ils sont paisibles, somnolent ou font tranquillement leur boulot de gardien. Paisibles et sympathiques comme les habitants de l'Albanie, sauf quand ils ont une voiture entre les mains, là où le comportement meurtrier ou suicidaire reprend ses droits... Regardez, les petites stèles funéraires au bord des routes :  des enfants de moins de 10 ans, des jeunes entre 20 et 30 ans. Morts bêtement, dans la fleur de l'âge, sacrifiés au dieu automobile. Autant que sous la dictature communiste ? Sans doute pas. Autant que les 2.000 juifs de Corfou déportés à Birkenau en 1944 et dont il ne reste que 80 survivants ? Je n'en sais rien.

La route qui longe le bord du fjord de Kotor est charmante, pleines de petites stations balnéaires sympa, populaires et sans prétention. On y bronze sur le béton faute souvent d'être pourvues de sable. A Kotor, les gros paquebots de croisières déversent leur cargaison de touristes dans la ville, le temps d'un après midi de visite, couplé à du shopping auprès des multiples boutiques de luxe qui ont poussé comme des champignons dans cette petite cité classée Patrimoine Mondial par l'UNESCO. La fringue, le luxe, les bijoux font toujours bon ménage avec le patrimoine historique.

Un loueur d'appartement à qui je ne loue rien, accepte de garder mon vélo le temps de ma visite. A 18h, faute de logement abordable, je décide d'entamer la montée en 24 lacets des 1.000 m de dénivelé au dessus de la ville. Toujours ça de pris pour demain, pensais-je. Et il fera moins chaud. Coincé par la nuit, impossible de trouver le moindre endroit plat pour dormir sur cette route taillée dans la rude montagne du Monténégro. Dans Monténégro, il y monter.

Et les montagnes, ce n’est pas particulièrement plat, fallait y penser mais on ne pense qu'aux exceptions qui vous épargneraient. Je suis obligé de continuer. Je poursuis donc. Mais jusqu'à quand ? En bas, brillent les lumières de Kotor. A 870 m, dans un des derniers lacets de la route (ils sont méthodiquement notés de 1 à 24), une voix dans le noir, un homme au téléphone, il tient une baraque à frite (vin et jambon). "Ben, c'est simple, tu t'installes entre mes 2 camionnettes et tu dors".

Aussitôt  dit, aussitôt fait. Le sol est inégal et les moustiques me livrent un combat également inégal, faute d'avoir pu déployer ma moustiquaire. Une légère brume teinte la vue splendide sur les lumières qui découpent, dans le noir les anses du fjord de Kotor au tracé si complexe. Comme une vue d'avion ou presque. Epoustouflant et compensant largement l'essoufflement de la montée (pourtant une des rares pentes douce du voyage justifiant les 24 lacets).

Au café, je demande à la dame laquelle des 2 routes est le plus intéressante pour rejoindre Cetinje. "Pas de doute, tu prends celle du parc de Lovcen, c'est la plus belle. Tu verras, ça monte un peu au début dans les arbres et après, c'est plat". On ne devait pas avoir la même conception du plat et elle n'avait pas du faire beaucoup de vélo dans sa vie. Certes, j'ai bien fait une petite erreur d'itinéraire, mais je me retrouve en milieu de matinée à 1.600 m. C'est splendide mais ça entame un peu. A cette altitude là, fin aout, il y a déjà un parfum d'automne avec le feuillage roux des arbres. Je trouve le parfum de l'automne toujours émouvant.

Cetinje, l'ancienne capitale,  est assoupie, écrasée par la chaleur. Des bouffées d'air chaud se surajoutent à l'air déjà chaud. A travers des collines, les montées et descentes alternent inexorablement. Des voitures immatriculées au Monténégro n'arrêtent pas de me demander leur chemin, un comble. Et souvent en russe, si bien que je suis obligé de leur répondre dans cette langue. Je finis par comprendre que ce sont des voitures de location de russes en vacance sur la côte à Budva. Une dame russe de Moscou parlant assez bien l’anglais m'explique cela très bien et me demande des détails sur mon voyage en vélo. Elle me regarde et jauge la bête :"Pourquoi, tu ne prends la voiture comme tout le monde, c'est bien moins fatiguant et tu vas plus vite ?". J'avance mes quelques vagues explications apprises par cœur sur l'immersion dans les paysages, le temps de regarder les choses, la rencontre plus facile avec les gens. Elle marque un temps d'arrêt.  "Tu es un héros". Je suis toujours ennuyé par les compliments, je les crois toujours un peu tarabustés. Mais j'ai vite pensé à ce "héros" de l'époque soviétique monté en épingle qui extrayait 10 fois la quantité normale de charbon d'un mineur moyen. Il s'appelait Stakhanov. Longue vie au charbon.

16h. Après avoir fait les courses à Virpazar, je continue, bien que cette ville soit l'étape prévue du jour dans mon plan initial. Toujours prendre de l'avance, on ne sait jamais de quoi la vie sera faite. "Tu verras, c'est splendide après", me dit, en allemand, un des rares rabatteurs rencontré dans ce voyage, désolé que je décline toutes ses propositions d’hébergement. Il a raison, la route qui domine les bords du lac de Shkoder est magnifique et super aussi le petit vin qu'ils font à Godinjé. La dame qui me le sert, assez forte, est occupée à se prendre la tension. Elle me pardonne difficilement de ne pas renouveler ma ration de rouge et de me remettre en selle si vite. 40° à mon thermomètre. Eh quoi, est-ce que Stakhanov ne doit pas retourner au charbon avant que le petit rouge ne l'ait terrassé ?

Campagnes qui se désertifient, maisons abandonnées. Des collines partout, une route toute tordue et, encore une fois, dur de trouver un emplacement plat et planqué pour dormir. Faut chercher un peu et ne pas attendre la nuit noire qui ne facilite en général pas les recherches. Parfois tailler dans les brousailles.

Les premières mosquées apparaissent en contre bas de la route vers le lac. La première crevaison aussi. Horreur de crever, d'abord c'est crevant de réparer accroupi dans la chaleur, ensuite ça fait perdre du temps, enfin ca salit les mains avec un vélo en pièce détachés et ses bagages éparpillés au bord de la route. Arrêt chez des paysans dans une maison isolée. Un des hommes parle allemand, ouf on peut se comprendre. Il a vécu 3 mois à Baden Baden et dit avoir gagné 80.000 € au casino. Sans doute, il en a perdu plus, mais ça, il ne le dit pas. Interrogation classique : métier, famille, religion, job, âge enfin. "Le travail de bureau, ça conserve bien" conclue-t-il en me regardant et en comparant ma bouille avec les figures burinées de ses collègues sans doute un poil plus jeunes.

"Tu dors dehors ?". Je ne peux nier. "Attention aux loups, il y en a plein ici et en Albanie, ils sont dangereux". Celle là, c'est un grand classique, je l'entends partout et je finis par y être habitué. Le voisin est un loup pour l'homme. La nouveauté, les choses inhabituelles comportent une menace évidente. "Il n'a pas plu ici depuis des mois, tu vois la terre est desséchée et les loups ont faim".

Petite ville d'Ostros, plus loin, la température grimpe et  surtout la bonne humeur des gens monte aussi d'un cran. Ca va, je suis donc dans la bonne direction. Et je viens en Albanie pour cela. Remontée pénible vers 560 m. Chaleur. Un homme me verse gentiment une bouteille d'eau fraiche dans le dos pour me rafraichir et me dit d'y aller mollo dans la descente. « Granidze ? (la frontière), tu descends, c’est tout droit ». Frontière. Mince, j'ai vu la sortie du Monténégro mais pas l'entrée de l'Albanie. J'apprendrais plus tard que les bureaux sont mitoyens et qu'ils se sont juste passé par mon passeport par une petite ouverture.

Un militaire en vélo me conduit au centre ville de Shkoder. Ca y est, j'ai retrouvé la ville. Un autre sympathique habitant me dirige chez le marchand de vélo pour me procurer des rustines. Le jeune coiffeur (23 ans) est adorable (1€ le coupe) :  "l'époque du communisme, very bad, maintenant on a internet et facebook". Facebook lui permet de draguer virtuellement des jeunes asiatiques qu'il ne verra sans doute jamais. Sa mère qui tient l’épicerie d’à coté m’offre une bière. Mon plan de la ville est faux et je tarde à trouver les quartiers intéressants.

On me parle des maffias albanaises et des villages dangereux où il ne faut pas aller. Encore des histoires de loups, ça me poursuit. J'ai du batailler un peu pour accepter de faire rentrer le vélo dans la chambre de l'hôtel à la fois pour des raisons de sécurité et surtout pour réparer la chambre (à air). De l'air, il y en a dans la chambre grâce à la climatisation qui me fait passer une nuit sans moustiques.

 

2- Sokol, le carreleur de Florence, de retour au pays pour les vacances

La mosquée chante à 5h30, facilitant le lever pour aller prendre le bus. Je suis obligé de prendre le bus pour Koman car le bateau est à 10h et je n’aurai pas matériellement le temps de faire le trajet en vélo. Départ prévu à 6h, mais comme le bus n’est pas encore assez  rempli, on attend les derniers clients. C’est une des caractéristiques des pays pauvres : on ne voyage pas à vide. Résumons les caractéristiques  d’un trajet en bus dans un pays pauvre et de ce point de vue mon premier contact avec l’Albanie me donne à penser que ce pays en fait partie :

1-    le bus ne part que quand il est plein

2-    Il est plein quand il n’y a plus de places disponibles (siège, soute, couloir, interstice inclus) pour les passagers et les bagages. De ce fait, l’analogie avec la boite de sardine est bonne mais on est très loin des records indonésiens. La place de mon vélo est au milieu du couloir du mini bus et je suis inquiet pour les passagers et notamment les gamins qui risquent de se blesser avec les pignons ou à tout le moins de se salir avec la chaine …

3-    Ca peut prendre … un certain temps. Mais la patience n’est jamais être mise en défaut. Pour nous, tout va bien, il n’y a qu’une heure de retard. « Prends ton café et une petite bière » me dit le chauffeur. Va pour le café et du raisin.

4-    La bonne humeur semble croitre à proportion du remplissage du minibus, non pas tant à cause du départ qui approche, mais tout simplement par la joie de se trouver nombreux et de discuter. Une gamine se fait mal à la jambe avec le plateau de mon vélo. Pleurs. Je suis objectivement responsable. Aucun reproche. Je répare cela avec un stylo, une chanson et beaucoup de raisin blanc.

5-    Le bus s’arrête partout (réparation, montée, descente de passagers, approvisionnement des passagers sur les marchées locaux)

6-    Tout le monde s’adresse la parole

7-    Le dispositif  ne tiendrait pas longtemps s’il n’y avait la musique locale pour mettre de l'ambiance. On est encore en Europe (mais dans un pays pauvre d’Europe) donc le volume reste raisonnable, tout va bien.

Où est parti Gabriel Sr ? Ai-je une chance de le retrouver quelque part ? Le coiffeur d’hier a 23 ans, l’âge de Gaby mais il a déjà perdu son père depuis 2 ans et comme beaucoup d’albanais, sa famille est dispersée aux 4 coins du monde. Il reste avec sa mère qui tient l’épicerie d’à coté, mais partira lui aussi à la première opportunité. Combien de temps nous reste-t-il à vivre ?

Albanie, grande comme 8 départements français, un passé chargé, 3 millions d’habitants aujourd'hui. Mais 50% des albanais vivent à l’étranger ou dans les territoires limitrophes. Implantation définitive ou temporaire avec retour au pays l’été pour visiter la famille, les vieux. Ainsi, on peut entendre parler allemand, italien, anglais, grec, anglais aussi. Les jeunes scolarisés parlent anglais. La dictature, une des plus fermée du monde, du style de la Corée du Nord aujourd'hui, est tombée il y a 20 ans. Les portes se sont ouvertes, rendant possibles et nécessaires les déplacements dans le pays et avec ses voisins.

L’exode rural se met en route, les campagnes se vident, les paysans ne peuvent plus y vivre. La mondialisation, comme partout ailleurs, frappe à la porte. La ville (et notamment Shkoder dans le nord) les absorbe et connaît une croissance démographique très forte. La ville :  plus d’aisance, plus de biens, moins de liens. La société marchande est le nouveau phare. La marchandise pénètre partout jusqu’au cœur de nos relations qu'elle finira par détruire.

Lac artificiel de Koman, dans les canyons du Drin, nord de l'Albanie. Le ferry met 2h environ pour relier Koman à Fierze en remontant le lac surplombé par les hautes falaises calcaires des gorges du Drin. On pourrait se penser sur le Verdon rendu navigable sur le segment des gorges. Quelques arrêts sur des berges caillouteuses aux accès hasardeux permettent de desservir des hameaux lointains et hauts perchés plus facilement que par une route improbable. Le ferry d’hier a coulé à cause d'une voie d’eau sur la coque percée par un rocher.

Sokol est carreleur à Florence en Italie : il me raconte cela en italien. Il va rejoindre le village familial le temps de vacances. Heureux comme un italien. On se prend en photos. Il me désigne chaque sommet avec des exclamations joyeuses. « Tu vois, cette montagne là, on dirait une tête de chien n’est-ce pas ? Elle domine mon village ».

4h30 de montée sur une piste caillouteuse pour  atteindre le terminus de la vallée de Valbone (1.050 m) en fin de journée. Des torrents très larges avec de gros galets blancs, des chalets, des prairies avec des paysans qui viennent de terminer les foins, des sommets calcaires bien raides qui ont un petit air de Dolomites. Il fallait bien le diner au restaurant avec la truite du torrent en compagnie d'un motard allemand, avocat à Berlin de son état, pour se remettre de la montée. Je pose mon lit sur une petite plage de sable fin dans le lit du torrent très large mais à sec à cette saison.

Il y a des ours dans cette montagne, quelques affiches le rappelaient. Dans la nuit,  les chiens des fermes environnantes hurlent et j’entends un grognement proche. Sans doute plus rêvé que réel. Je me lève en sursaut, avec, à la main le sac en plastique contenant les provisions qui pourraient bien constituer une monnaie d'échange intéressante avec l’ours. "De la feta, des tomates, des cacahouètes, des céréales et du pain et tu me laisse tranquille, tiens Monsieur l’ours, prends le poivron et les raisins en plus". Par précaution et comme on le montre dans les parcs américains, je vais attacher le sac dans un arbre, un peu plus loin, en imaginant que cela constituera mon système d’alarme et ma première ligne de défense. Et je pars me recoucher fataliste. Ils m’avaient parlé des loups mais pas des ours.

La montagne se réveille sous les rayons du soleil qui illuminent les sommets. Pour les meules de foins, chaque pays a sa tradition. Ici, on monte un petit cône autour d’un bâton. Un  chapeau en plastique tenu par des fougères qui le plaquent sur le sommet, assure la protection contre la pluie. Couleurs un peu cuivrées des arbres, l’arrivée de l’automne.

Une descente un peu trop rapide de la route caillouteuse entraine une chute. Heureusement supportée avec les habits et les gants, donc un moindre mal sauf au genou. Va-t-il tenir ? Il a tenu.

Col de Luzhès (850 m). A Pac, un orage, je me refugie dans le café où on m’offre une bière. Même chanson : « il faut te méfier des gens du village voisin, de la région voisine, du Kosovo, des serbes, des grecs, mais ici, tu n’as pas de problème, tu es sous ma protection, il ne peut rien t’arriver ». « Même venant des loups ? » « Même des loups ». Tant mieux. « Quand repasseras-tu ici ? » demande Ali.  « Dans 2 ou 3 ans ». « Alors, tu viendras chez moi, je suis Ali, le garde forestier, tout le monde me connaît ici ».

L’orage a rafraichi un peu l’air et nettoyé le ciel qui devient bleu (avant, je ne me souviens plus trop bien mais ce n’était pas exactement bleu). L’horizon s’élargit soudain, on passe des montagnes aux collines, puis à un plateau cultivé. Grace à l'Europe, la route vient juste d’être refaite (ou faite) avec un superbe asphalte enrobé drainant, les 2 gamins qui m’accompagnent en vélo sont gentils, le vent est d’ouest donc favorable, les côtes deviennent douces et pas trop longues, dans les descentes on atteint les 50 km/h sans soucis. Les paysages sont ouverts et magnifiques encadrés au nord par les montagnes du Kosovo. La lumière éclaire par derrière alignant l'ombre et le  cycliste par devant. La chaleur a desserré son étreinte N’est-ce pas une fin de journée magnifique ? 

Les ouvriers du chantier routier m’indiquent une rivière pour me baigner et rincer les habits trempés de sueur. Le match de foot France/Albanie dans 2 jours occupe tous les esprits. « Tu es tchèque, toi non ? » a chaque arrêt on me prend pour un représentant de ce pays car ils viennent souvent en vélo parait-il.

Beaucoup d’albanais travaillent ou ont travaillé à l’étranger. Ils sont de retour au pays soient pour les vacances (ce sont les grosses Mercedes que l’ont voit partout) soit pour s’installer et ouvrir un petit business : hôtel, commerce. Ainsi, on peut trouver des gens parlant parfaitement  l’anglais (c'est le cas de mon hôtelier de ce soir qui a vécu 10 ans en Grande Bretagne : « Dont tell anyone that I gave you this price »), l’italien, l’allemand. Krumé, étape du jour, petite ville avec des HLM communistes de construction mi brique, mi ciment du plus bel effet… Charmant l’épicier qui revient de plusieurs années à Londres : « il y a maintenant en Albanie du boulot pour tous ceux qui veulent faire du business, tiens viens prendre un verre, je te l’offre ». Je ne sais s’il évoquait du business normal ou un trafic moins avouable plus tournée vers le Kosovo voisin dont la frontière est si proche (10 km).

« Ou est-ce que tu vas comme ça ? » me demande un passant à qui je m'adresse. « Peshkopi ». Son jugement est catégorique « Bicyclet, problem », avec un terrible accent russe surtout quand il s'agit de dire "prrroblem". J’en avais vaguement entendu parler concernant cette étape. Ce sera du sérieux. Ca l’a été, je n’en parlerai donc pas.  Depuis mon précédent voyage, papa est mort. Avant, en rentrant, je pouvais aller lui dire bonjour et lui donner à lire quelques récits de voyage. « Tu as pu faire tout ce que tu voulais ? » demandait-il ? C’était juste une manière de dire « On est content pour toi, même si, maintenant, on ne peut plus suivre tes voyages". Je raconterai plus tard l’histoire de 2 enfants N et P concernant le disque-promotionnel en plastique contenant les enregistrements de quelques meetings hitlériens. "Ce n'est pas vrai, c'est un faux, ça ne peut pas être la voix d'Hitler, je ne le crois".

 Plus de 2.000 m de dénivelé aujourd’hui. Ca semble ne plus vouloir en finir d’enchainer les descentes et les montées de prolonger la montée que tu crois devoir déboucher sur un col vers une autre qui t’offrira la même perspective. A la fin, je marche, sans doute fatigué. Je suis rejoint par un jeune qui revient des courses dans le village plus bas, une bouteille d’huile de salade dans le plastique à la main.

Comme nous ne parlons aucune langue commune, nous cheminons de concert silencieusement, nous imposant quand même un bon rythme de montée à 5 km/h. Je sens qu’il faut que je continue avec lui, qu’il m’amènera plus rapidement au sommet de ces lacets interminables. Par quelques vagues signes, on évoque le profil de la route. Il tente de rassurer par l’inclinaison de sa main. Sa mère l'appelle au téléphone, il donne sa position puis me quitte par un chemin de traverse à droite.

 

3- Où a dormi la femme de Dashamir cette nuit là ?

 Le soleil se couche dans la poussière de la route qui est en travaux, donc sans asphalte. Finalement, le jeune qui m’accompagne a bifurqué à droite et je remonte sur le vélo, le sommet est bien vite atteint. Reste une longue descente freinée dans le gravier et la poussière. La nuit arrive, Peshkopi est encore à 30 km au moins, l’étape était d’autant plus longue que j’avais déjà 30 km de retard au départ. Je demande l’hospitalité au village de Radomiré. Un ado. débrouillard de 15 ans (terrible accent anglais puisqu’il vit depuis 6 ans à Londres) me conduit au jardin d’une maison pour m’installer.

Puis, le maire du village demande à m’accueillir chez lui. Invitation, salon, invités, présentations, discussions à l’aide des immigrés du village présents qui traduisent (anglais, français, italien), évocation du match Albanie/France de demain etc …  "Que pensent les français de l’Albanie ? » La question tombe brutalement. J’évoque le passé communiste, les maffias, le développement, l’argent des émigrés, l’entrée prochaine dans l’UE.

 Le diner a lieu par terre sur le tapis du salon recouvert d’une fine nappe en papier. Préparé par sa femme. Salade de légumes (tomates, poivrons, oignons), féta, saucisse de poulet, lait fermenté salé. J’adore manger par terre et avec les doigts comme en Afrique, au Moyen Orient ou en Asie : cela crée une intimité plus grande qu’avec la table, les chaises et la fourchette.

Pas de douche dans la maison, et j’utilise ma technique habituelle dans le jardin avec la  bouteille d’eau de 1.5 l. La télévision et le téléphone portable arrivent  et ils devancent les WC et la douche en matière de développement. Dashamir, mon hôte possède un cheval, 2 vaches et quelques moutons plus la petite épicerie du village. Hospitalité, générosité, bonhommie, tolérance. Dashamir tient absolument à ce que je dorme dans sa chambre, dans le lit à coté de lui, sans doute celui de sa femme Claudia  qui aura été dormir ailleurs. Y a-t-il des gens gentils partout ? Non pas forcément. C’est directement fonction du niveau de richesse, de la religion et également de la fréquentation touristique, nulle ici dans ce coin de l’Albanie (1 ou 2 motards allemands par semaine sur la route).

 Petit déjeuner plantureux dans un village après Radomir : pourquoi les tomates sont-elles si bonnes ici ? Problème du voyage en vélo : on passe trop de temps à pédaler et pas assez  à discuter avec les gens, gouter les plats, réfléchir, sentir, ne rien faire… A Peshkopi, je déniche le seul horloger de la ville qui peut changer la pile de ma montre (1.5€) : ouf, l’altimètre remarche. Je prends mon horloger en photo, souvenir … Mais il en abat du job cet horloger. Au moins 10 personnes sont passées pour faire changer leur pile de montre pendant les 20 mn où j’étais là. Agilité extrême.

Puis, je passe en Macédoine et rejoins après 20 km, le Drin noir une rivière canalisée par des barrages le long de gorges très jolies qui viennent du lac Ohrid. Premier cycliste croisé. Un jeune allemand à chapeau de cuir, doux rêveur qui aime la nature et est capable de s’enfoncer 3 jours durant au fin fond de pistes innommables sans croiser personne. Au bout de ces gorges, une plaine, puis la ville balnéaire Struga sur le lac Ohrid. Nuages et du vent, ça fait du bien et ça change. Mignon petit camping au bord du lac à Kalista et tenu par des anciens immigrés en Allemagne.

Après 2 bières, le match Albanie / France peut commencer. Je pensais me faire lyncher au fur et à mesure des buts tricolores. Mais non, ça reste calme Par prudence, je vais me coucher à  la mi temps. 2/1 le score final et je n'ai pas vu le but albanais. Magnifique lever de soleil sur l’autre rive du lac Ohrid vu à travers la petite plage du camping en bordure de laquelle j’ai placé la bâche de mon bivouac.

Seul un couple d’autrichien en moto partage avec moi ces lieux. Le patron, la soixantaine, a travaillé longtemps en Allemagne : on peut causer facilement ensemble en allemand. Hier, il est vite venu jeter un coup d’œil à la mi temps au match de foot. Il a vu 2/0 et il est reparti se coucher fataliste en prenant le ciel à témoin. Passage de la frontière albanaise, puis la route longe le lac sur une cote bien pourvue d'hôtels et de restaurants pour touristes mais vide à cette saison. Les vendeurs de poissons attendent le chaland au bord de la route. Déjeuner à Pogradec où l’on trouve plein de petits bunkers sur la plage. Korce, le soir. Pourquoi ça avance si vite  aujourd’hui ? Ah oui, parce que c’était à peu près plat (1.000 m seulement).

Encore une longue étape mais très belle. Le réparateur de pneu à la sortie de Korce (Gumisteri Servis) est déjà au travail à 7h du matin. On regonfle la roue arrière à la suite de la dernière crevaison, on check la chambre de secours réparée à Shkoder dans sa grande baignoire remplie d’eau et puis … on prend le café. Sacré, le café le matin en Albanie ! Tout faire sur le vélo : pédaler, manger, boire, écrire des SMS, lire la carte, écrire sur du papier ? Pas encore.

Les bords des routes, sont des poubelles parfois même des décharges. Il faut savoir s’y habituer. Dans ces pays en développement, on consomme plus et autrement qu’autrefois, notamment des canettes et bouteilles en plastique difficilement dégradables. Faute de poubelles, on jette n’importe où. C’est un reflexe, une habitude, presque génétique. Constitutif du paysage. Dame nature absorbe ou pas.

Système de refroidissement du corps par ces chaleurs qui dépassent toujours les 30° : casquette mouillée toutes les 2 heures, un T shirt en écharpe dans le cou, mouillé toutes les 2 heures, chemise à manches longues parfois mouillée et en tout cas sur laquelle goutte la casquette et le T shirt en écharpe. Montée/descente/tournants/à droite ; à gauche …

 Sur la route, on est plus près des morts que des vivants. Beaucoup de cimetières, de petites stèles en souvenir des morts dans les accidents. On voit beaucoup moins de nurserie, d’école etc …

Un cimetière avec des gens, des pleurs, je m’arrête. Un couple âgé accompagné de quelques membres de la famille  enterre leur fils de 30 ans tué par arme à feu dans la Grèce voisine. Je présente mes condoléances et le père me serre dans ses bras. Un édifice en ruine au centre du village. On en voit souvent et on finit par comprendre qu’il s’agit de bâtiments officiels liés à l’ancien régime (parti, syndicat, armée etc…). Généralement laissés à l’abandon, même s’ils occupent une place centrale dans le village. « Oublié, le communisme, cette maison est bien trop grand et personne ne peut la reprendre » me dit la dame à qui je montre la maison déglinguée. 

Les nouveaux dieux du moment s’appellent le foot et la bagnole à qui on se dépêche de construire plein de nouveaux temples aux abords des villes : garages, stations services gigantesques, casses segmentées par marque automobile, « servis » divers, stations de lavage (il y en a partout), « gumisteri » (pneu). Et qui viennent alimenter à leur tour le dieu de la mort, par des conduites dangereuses. Le père disparu, la famille disparaissait, le père, c’était la clé de voute de la famille, la vente de Lusys avait donné le signal du départ, d’autres familles en aval prenaient le large, la mort est nécessaire à la vie ?

Le rideau se lève : égoïsmes ravageurs cachés sous les bonnes intentions, dissimulation d’intérêts, jalousie, méfiance, lutte de pouvoir. Le notaire prend les habits du défunt, caricature son modèle, se méfie de tous et construit des pyramides pour l'éternité, le nomade regarde cela de trop loin sans parvenir à se détacher suffisamment et on le prend pour un horrible dilettante paresseux et prétentieux, le dernier court après l’histoire, agresse les autres faute d'avoir confiance en soi et compense son retard par du légitimisme. Sur la route, on est plus près des morts que des vivants. Est-ce cela que le mendiant dans l'Antigone d'Anouilh appelle l'aurore ?

 Les mauvaises pensées me quittent enfin vers le soir. La journée a été dure. Le soleil est passé à gauche derrière la montagne du coté de la Grèce, là où les femmes âgées s'habillent en noir. La ville de Permet ne sera pas atteinte comme prévu initialement. Rien de grave. Il est temps de se poser. Attablés devant leurs bières du soir, un groupe d’hommes sur la terrasse d'un « café » (en Albanie, toute maison en bordure de route est un café). « Où puis-je camper par ici ? » je demande. Ils lèvent les yeux au ciel. « Mais est-ce que tu n'as pas toute la place que tu veux par ici, elle n'est pas assez grande la vallée ? Tiens installe toi sur la luzerne dans le champ d’à coté mais viens d’abord boire une bière avec nous et discuter ».

4- Du raki pour le petit déjeuner ?

Au matin, je replie ma bâche et mes affaires silencieusement. Tiens, il y a eu un semblant de rosée dans la nuit. La dame du café me rattrape pour … me servir un café, un café turc celui-là avec le marc. Un grand sourire et le traditionnel grand verre d’eau froide  l’accompagnent. « Tu veux autre chose avant de partir ? Des œufs ? Du raki ? ». Ca, l’alcool de prune à 6h du matin, je n’ai pas encore donné mais c’est sûr que cela viendra un jour. On a quitté les montagnes, on est plus bas maintenant autour de 200/300m et la chaleur monte dès 7h du matin. Je vous ai parlé des bords de route transformés en champs d’ordures, si bien qu’un pique nique s’apparente parfois à un déjeuner dans une décharge ? Ce qui a un charme limité. Mais le pays est propre, les hôtels et les toilettes même très modestes sont bien plus cleans qu’ailleurs. Et, bonne surprise, il y a des sources d’eau partout pour boire et se laver. Elles-mêmes souvent transformées en poubelles !

Est-ce la pauvreté, les 40 ans d’isolement, le multi confessionnalisme qui ont créé tant de liens de sociaux et qui permettent de se sentir si à l’aise et intégré ici ? La température à 40° impose une sieste sur le ban d’une épicerie après un esquimau en dessert. Depuis 20 km, c’est une sorte d’autoroute que je suis et qui conduit à Gjorikaster vers 16h. Seul, dans un vieil hôtel du temps du communisme. Visite au pas de course de cette belle ville ottomane aux toits de pierre. La forteresse, les maisons privées ottomanes que leurs propriétaires font visiter avec fierté, la maison natale de Henver Hoxda, la maison d’Ismaël Kadaré. Pas de raki le matin, mais on se rattrape le soir dans les petites ruelles animées qui ont toutes les tables de restaurant et de café dehors.

Nous étions une famille, le père, la mère, les 4 enfants, les grillades au feu de bois dans la cheminée de Lusys, les piques niques au bord du lac de Lanchsalle, les parties de pêche sur les rochers du Cap Martin, les longs voyages tassés vers le sud dans la berline familiale italienne. Nous étions. Et le temps est passé par là, il ne s'arrête donc jamais, juste accroché par les souvenirs ? Une rivière où tu t'arrêtes longuement pour regarder l'eau couler.

Aujourd'hui, est une journée de tourisme, je ne fais pas de vélo, je le transporte dans le bus et moi avec  pour aller visiter la ville de Berat, un écart sur ma route. Les véhicules utilitaires des pays pauvres (bus, minibus, transports de marchandises, camions, camionnettes etc...) viennent tous de l'Europe riche et particulièrement d'Allemagne. On voit encore les marques et les enseignes de leurs précédents propriétaires allemands, entreprises de transport, de travaux publics, de livraison de légumes etc... Je suis dans le bus Mercedes à destination de Fier et je pourrais donc me trouver en Allemagne, 20 ans en arrière. Les indications de ne pas parler au chauffeur sont en allemand, il reste des auto collants "ville de Berlin" et la bus a même conservé sa médaille de Saint Christophe, une curiosité dans un pays à majorité musulmane.

Le père, au fond cet inconnu qui a eu bien plus de vies que la petite fenêtre de lui que l'on a pu connaitre : un fils lui-même, un militaire, un séducteur peut-être, un hédoniste, parfois un idéaliste rêvant d'un monde un peu différent de celui qu'il était en réalité. « Faire l’Europe ne suffit pas » disait-il dans les années 70, « Il faut faire le monde ». Beaucoup se contentent de le refaire.

Après un changement un peu compliqué et une négociation fatigante avec un chauffeur de minibus glouton, j’atteins Berat mais il ne me reste plus beaucoup de temps pour visiter sous la chaleur du midi. La dame de l'office du tourisme (le seul endroit où j'en ai rencontré un) me garde mon vélo dans son bureau. Attente d'un bus retour pour Vlorë qui ne vient pas, puis changement de destination, je prends celui pour Tirana qui me dépose en cours de route pour un autre bus dont le terminus est Vlorë, là d'où démarre la dernière branche de mon voyage.

Albanie, peu d'exotisme, peu de distance culturelle, religieuse ou raciale, c'est juste l'Europe, des frères qui raisonnent pareils que nous mais que le poids de l'histoire a rendu plus pauvres. Ils gèrent cette pauvreté comme tous les pauvres du monde : petits boulots, temps de travail allongé, faibles revenus, débrouillardise et liens sociaux renforcés.

18h Vlorë, remonter le vélo qui a trainé trop longtemps dans les soutes et les coffres des bus. Un sandwich grec, une bière, j'enquille la longue avenue assez chic qui traverse la ville, prend une douche sur la plage. 10 km d'installations touristiques sur la côte. Construites ou en chantier, ce sera le grand boum dans les années à venir. Aucune côte de la Méditerranée n'échappe à cela. C'est le destin de l'homme de regarder la mer à partir d'installations en béton.  Dans peu de temps, les derniers espaces vierges de la côte non urbanisée le seront. Nul n'échappe à l'impératif du "vue sur mer", même si ce n'est que 2 mois pas an. Ici, on sait construire et on construit très très vite.

Tout est vide, la saison est finie, les touristes albanais sont repartis. Après 20 km ce sont des friches, des petits lotissements pour l'été, campings, bungalows accolés, zone de jeux et de loisirs. Je bivouaque derrière des bungalows désertés. Les moustiques m'attendent et le temps d'installation de la moustiquaire est toujours assez long pour leur permettre un festin. La moustiquaire dans laquelle s'introduit un très grand mille patte, indélogeable des plis de mon duvet. Je le lui abandonne finalement en le jetant hors de la moustiquaire

Un petit défaut de voyager  longtemps c'est que l'on n'apprécie pas toujours les nouvelles découvertes et les nouveaux pays. On a un peu tendance à mélanger les souvenirs et à être moins sensibles à toutes ces choses si différentes. Usure de la découverte  qui parfois n'en est plus une puisqu'on voit vient pour voir si ce qui est présent dans un paysage, dans un lieu, une ville est conforme à tout le bien qu'on vous en avait dit ou ce que l’on en avait lu.

Passage du col de Llogarasë (1.000 m de dénivelé) puis la descente en superbes lacets avec vue sur la mer pour atteindre le joli village grec de Dhermi ("nous sommes grecs ici me dit un couple en voiture qui s'arrête à coté de moi à un joli point de vue") et Himare. Les femmes âgées sont en noirs.

Autant la montée au col était régulière (et heureusement avec un soleil masqué par une fine couche de nuage), autant la suite n'est pas du tout une descente paisible mais une succession de ressauts perfides avec des pentes terribles sous une chaleur lourde. Je pique nique au bord de la route (dans les ordures mais ça c'est habituel) : du coin de l'œil, je repère de l'autre coté du vallon, une trace dans la montagne qui remonte. "Non pas possible, ce n'est pas la suite de la route, maintenant, elle doit descendre, c'est impératif". Hélas, ne pas confondre ses désirs avec la réalité : c'est la route.

Se nourrir au bord de la route ? Bien sûr il y a de temps en temps les figues ou les prunes. Mais plus fréquemment, on trouve les mûrs, beaucoup de mûrs. Le problème est de savoir si elles sont bien mures. Trop bas en altitude, il fait trop chaud et les fruits même mures sont desséchés. Trop haut, ils sont encore rouges et attendent encore un peu pour virer au noir. L'altitude moyenne correspond à la juste maturité. Il faut avoir l'œil pour repérer le bon bosquet qui permettra une récolte abondante et justifiera l'arrêt toujours risqué en côte (pourra-t-on repartir facilement ?) et en descente (pourquoi casser une si belle allure ?).

La cote après le col, est encore peu urbanisée avec même un reste de sauvagerie. Quelques villages un peu désertés dans les hauts, quelques petites stations dans les seules anses un peu accessibles. Mais la folie de la construction est bien là. Tout va très vite. Les petites maisons et petits immeubles de 3 étages surgissent à toute vitesse. Parfois, c'est juste la structure, la carcasse dont on ne remplit que le quart d'un étage. Le reste se remplira dans le futur, le territoire est marqué. Encore des yoyos de la route : bord de mer, retour au niveau 100 m etc. ... Finalement l'orage arrive qui rafraichit et redonne de la couleur à la végétation qui souffre de sécheresse.

Le ciel devient bleu, l'eau se mets à couler en ruisseau au bord de la route. A Quapero, une jolie plage avec de beaux parasols blancs. Surréaliste : une seule personne, un père de famille de Tirana. "Tout le monde est reparti travailler, tu sais, on est au début de septembre mais tu verrais en juillet-aout, c'est rempli". "Il y a pas mal d'immigrés albanais de Grèce qui viennent en vacances par là.". Lui a des enfants en bas âge et peut se permettre d'être hors saison. "Je loue une chambre 15 € mais en juillet - aout, il y a beaucoup de monde, c'est le double ou le triple".

  

 5- Les peupliers annoncent l’automne quand leurs feuilles jaunes bruissent dans le vent

Je prends des douches sauvages le long avec les robinets ou les fontaines du bord de la route pour rafraichir la machine et dessaler la peau. Au loin, mais la visibilité n'est pas très bonne, apparait l'ile de Corfou avec ses 2 ilots au nord. Croisé le site Porto Palermo, base militaire de sous marin ultra secrète du temps du communisme, un temps prêtée à L'URSS. Ils ont creusé un tunnel de 1 km sous la montagne ouvrant sur le port pour protéger les sous marins.

En montée à 300 m, une station de télécommunication domine la cote au nord et au sud. Merveilleux bivouac sous les antennes radios avec quand même l'odeur de l'huile des transformateurs. Nouvelle catégorie de moustiques ici : invisibles, redoutables et douloureux. Je bénis l'idée d'avoir pensé à la moustiquaire.

Villages endormis, tentatives de cultures en terrasses pour faire pousser des agrumes (politique forcée du temps du communisme par imitation du modèle chinois : un échec). Miracle, 10 km avant Saranda, la route devient plate. Tiens ça existe encore le plat ? Faut croire que oui. Saranda, une petite ville portuaire au bord d'une baie en plein boum de la constriction, assez anarchique. Le billet pour le ferry de 16h et ... du temps devant moi : change, courses, coiffeur, restaurant, internet... L'affairisme total quand on est en ville !

La vie est assez simple en réalité. Pourquoi les anticipations nous la rendent si souvent tordue ?  Certes, il y a des mauvais coups. Mais d'abord, ils sont 10 fois moins nombreux que les mauvaises anticipations nous font craindre. Ensuite, ils n'arrivent jamais du cité où on les attend. Alors ? Alors ? Jouir de la vie au maximum, chercher à la comprendre le mieux possible, agir, mais seulement sur ce qui est à notre portée et oublier le reste ; la mort vient assez tôt pour emporter tout cela. Espérer ne sert à rien, il n'y a rien à espérer. Espérer, c'est rentrer dans le cercle de la frustration et de désir. Le seul désir est celui de la réalité qui est là, à portée de main; Où ça ?  Sur nos étagères.

Et pas dans les magazines, pas sur les affiches, ni dans les théories qui produisent à tour de bras des paradis sur terre ou dans le ciel. Les paradis se métamorphosent vite en enfer, le christianisme engendre l'inquisition, la révolution annonce Thermidor, 1917 ouvre les portes à Staline, Beria et les Goulags, Mahomet et le Coran crée les bases de l'islamisme intégriste. "N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux".
 

La sirène mugit, dans le port de Sarandë et le tout petit ferry grec large les amarres. "Tiens, prends cette ficèle et attache ton vélo sur le bastingage, on a le vent de coté, ça va secouer un peu dans le détroit et il risque de bouger". Mon vélo est le seul véhicule de ce ferry qui doit pouvoir emmener 4 voitures, pas plus. La dame au guichet l'a vu et n'a pu s'empêcher de le facturer en plus du billet. "Cash machine" j'ai maugréé. "Mais non, c'est en Grèce, qu'on va et pas en extrême orient, pas en Chine, cesse la mauvaise humeur et regarde comme la mer et le ciel sont bleues chez les hellènes".

Corfou se dessine au loin, éclairé par le soleil couchant. Pourquoi Corfou ? Je ne savais pas trop que c'était une destination très touristique. Je savais juste par Claude Lanzmann que sur les 2.000 juifs qui y habitaient, 1.800 avaient été déportés le 6 juin 1944 et aussitôt gazés à leur arrivée à Birkenau. Comme ça, d'un seul coup. Il n'en reste qu'une centaine. Alors je suis passé voir et j'ai terminé là mon voyage. Dubrovnik - Corfou, ça faisait une belle ligne le long de la cote dalmate et vers la mer Ionienne ?

La géographie s'apprend par les pieds, par les souvenirs qu'on a dans la tête  et par les émotions qu'ils transportent. Et aussi la magie des mots qui désignent les territoires.

A Corfou, je suis autorisé à débarquer après un distrait coup d'œil de l'officiel sur mon passeport EEC.  Des boutiques à souvenirs battent leur plein pour alimenter les touristes qui viennent des 3 énormes paquebots de croisière dans le port. Une visite rapide en vélo (bonne nouvelle : la ville de Corfou est presque plate et on peut y faire du vélo sans soucis sauf celui de renverser un touriste). La nuit arrive vite, je m'enfonce dans les broussailles d'un terrain vague de la banlieue. Damned, il  y a des ronces ce qui ne fait pas bon ménage avec une installation rapide de la moustiquaire. Et pendant le temps de démêler tout cela dans le noir... Gagné, oui les moustiques attaquent et piquent même au travers des habits. Hurlement du tonnerre. Mince, pas réalisé, je suis en bout de piste de l'aéroport. A moins de 100 m. J'ai les moteurs à pleine puissance au décollage et les "reverse" plein pot des avions qui atterrissent. La vie au grand air quoi !

A la synagogue, la dame fume cigarettes sur cigarettes. Elle est avachie, énonce rapidement les chiffres sinistres que je connais déjà : sur les 2.000 juifs d'avant guerre, il n'en reste que 80 aujourd'hui. "Tiens, tu peux visiter, c'est gratuit, mais penses à  mettre une offrande dans le panier la bas". Elle replonge dans son téléphone portable avec sa voix avachie pour une interminable conversation qui m’empêche de lui poser des questions. 1944 est loin, lutter contre l'oubli. Des photos anciennes d'Albert Cohen qui a vécu ici avant de partir pour Marseille dans la pièce du bas. Assis dans son fauteuil, avec sa robe de chambre à carreau en soie.

Les morts, on ne peut plus leur écrire, leur téléphoner, les visiter. On dit qu'ils nous attendent dans la pièce d'à coté, peut-être dans une autre ile ? Est-ce eux qui nous attendent ou bien est-ce nous qui les attendons ? Il y a eu beaucoup plus de morts qu'il n'y a de vivants : 3.000 milliards contre 6 milliards de vivants aujourd'hui. Et, ces 6 milliards, on est sûr maintenant, on le sait bien, ils viendront grossir l'addition. Alors, pourquoi je n'ai pas pris le temps de me baigner tranquillement à coté du port de Corfou avec une bouteille d'eau douce pour me rincer ? Je ne le sais toujours pas aujourd'hui. J'ai préféré rouler dans tous les sens dans les ruelles de Corfou aux maisons peintes dans le style italien et visiter le palais de style grec ancien (Achileos) de l'impératrice Sissi repris ensuite par Guillaume II. Dans quelle partie de l'univers sont les morts qui nous attendent ? Peut-être dans une ile grecque ?

Le drame de l'oubli, c'est que tu ne te souviens plus ce que tu as oublié ou perdu comme le rappelait le gériatre l'autre jour. Reste encore pour certains le sentiment vague d'un manque ("j'avais quelque chose à te dire, mais je ne me souviens plus quoi.."). Pour d'autre plus rien. Cela s'appelle Alzheimer.

A midi, sur le parking du supermarché (oui, en Grèce, on les retrouve, les supermarchés à la place des petites épiceries), les énormes olives fondent dans la bouche comme du beurre et poussées par des gorgées de bière bien froides.

A la nuit tombée sur le  trottoir de l'aéroport, j'étale mes affaires et mon véhicule : les grosses manœuvres habituelles d'emballage du vélo sous l'œil intéressé des mamies anglaises, verbe haut, toutes à la joie de rentrer, peaux cramoisies par le soleil, elles reprennent leur avion pour Manchester.

La Grèce avec Corfou, c'est le retour à la société de consommation, les voitures omniprésentes, la publicité qui envahit tous les espaces disponibles, le luxe, le règne des signes.

En Albanie, ce n'est plus le communisme depuis 20 ans, ce n'est pas encore la société de consommation mais il n'y en plus pour longtemps et certainement, une majorité de gens y aspire comme à un paradis après 40 ans de dictature. En attendant, c'est encore le règne des cafés, très nombreux, on ne consomme pas énormément, juste un café, une bière, un raki, mais où on discute énormément, beaucoup, longtemps, entre amis. On est capable aussi, au bord de la route, de regarder longtemps, les yeux dans le vide, seul ou en couple, avec ou sans âne, sans rien espérer d'excessif, à coté de son petit étal de fruits ou de légumes, que le client arrive. Et il viendra bien un jour, on pourra discuter aussi alors. Moins de biens mais plus de liens

En Albanie, j'ai remarqué depuis une semaine, que les peupliers ont leurs feuilles qui bruissent au vent du matin. Elles renvoient la lumière comme autant de petits miroirs. Certaines feuilles sont déjà jaunes : n'est-ce pas le signe de l'automne qui approche ? Il est temps de rentrer. Ah oui, j'ai quand même appris à dire "au revoir" en albanais. Ca se dit "Mirupafshim". Pas mal, non ?