Addis Abeba to Nairobi
October - November 2015

 

 


Remerciements à :

Marion Abrias, Loic Munaro un grand voyageur à vélo (plus de 3 ans et 60.000 km) qui n'a pas ménagé sa peine pour me donner plein de renseignements et m'a permis d'emprunter certaines de ses photos suite à la perte des miennes, Ségolène et Bruno Bonfante qui m'ont accompagné, suivi, et sont venus me chercher aux deux extrémités Charles de Gaulle du voyage, Eskinder Aderajew (Addis Abeba), Eshoo de Key Afer qui m'a organisé la visite du marche d'Alduba et la rencontre avec Jinka et sa famille dans la case de qui j'ai pu habiter, Mike de Omorate sauveur du jour (Solar kiosk) qui m' aide à résoudre le problème de la boue après le pont, Father Bosco de Lowarengak, Father Antonio de Narokotome, Father Georges de Kataboi, Okia Moses de Kataboï, Father Albert de la paroisse St Augustin de Lodwar, le directeur et les maitresses de l'école à gauche de la route 10 km avant Lokichar (13/11/2015), Father Javier de Kainuk, Father Dharmu de Chapereria un tamoul adorable, Zakaria le policier de Nyahururu qui m'a sauvé de la pluie et du noir, Father David de Karatina, Coco et Joseba (VéloBrousse) qui m'ont donné l'envie de ce voyage, Matthew Grant qui m'a donné les nouvelles les plus fraiches sur le voyage, Chris Robert passé de Nairobi au Caire j'espère qu'on se verra quand même, Olivier Rochat (TrekforAfrika) passé là au début de l'année, Olivier Croufer dont les récits de ses voyages à vélo au Congo sont si prenants, Jecinta W (Ambassade du Kenya) qui m'a guidé dans le maquis du "visa on line" kenyan, Sekiji un voyageur à vélo qui a bien documenté le trajet en 2013 et réalisé une petite carte de la route à l'ouest du lac Turkana, Marc Giordan qui m'a donné des conseils sur l'Ethiopie où InterAide travaille (Soddo) et passé son Coartem pour le palu.

Crédit photos (suite à la perte de mon appareil) : Loïc Munaro, Oliver Rochat, Sekiji, internet pour reconstituer les choses vues ...

 


Where ?


Itinéraire Addis Abeba -> Nairobi

 

 


No man's land between Ethiopia and Kenya (Omorate and Todenyeng) Photo VéloBrouse 2011 :
"tu vises la pointe de gauche de la montagne et t'arrives direct au Kenya" ; "tu pousses trop à droite,
t'es au Soudan, tu peux pas te tromper mais faut pas te tromper"


 


Turkana lake

Landscape

       

     

   

    

       

        

 

People

       

   

   

 

Routes
Mud, sand, corrugation, potholes, tarmac and rivers sometime

 

   

   

    

        

 

 
voir la vidéo de la station de matatu de Karatina

      

       

       

       

       

       

 

 

Tribes people :
Banna, Hamer, Daasanech, Turkana

Banna

Le peuple Bana, implanté autour de Key Afar et jusqu’aux berges de la rivière Weyto, compte environ 40 000 individus. Ils pratiquent l’agriculture et complètent leurs besoins alimentaires par la chasse.Les Banna présentent des ressemblances flagrantes avec leurs cousins Hamer avec qui ils partagent leur langage (seule l’accentuation diffère), leurs coutumes et leurs croyances. Ils s’adonnent ainsi à des danses et des chants rituels et célèbrent la cérémonie de l’Ukuli ou « saut de vaches ».Les hommes Bana se parent souvent d’une coiffure d’argile agrémentée de plumes. Quant aux femmes, elles enduisent leurs cheveux de beurre et les décorent avec des perles. Lors des fêtes rituelles, hommes comme femmes ornent leurs corps de peinture à l’argile ou à la chaux.

 

          

         

 

Hamers people (40;000 people)

Les Hamers sont une population d'Afrique de l'Est vivant dans le sud-ouest de l'Éthiopie, dans la woreda Hamer Bena, une zone fertile de la vallée de l'Omo située dans la Région des nations, nationalités et peuples du Sud.
Selon les sources et le contexte, on observe de très nombreuses variantes : Amarcocche, Amar Koke, Amar Kokke, Amar, Amarr, Ammar, Beshada, Cocche, Gudela, Gudella, Hamar, Hamars, Hamer-Bana, Hamer-Banna, Hamerkoke, Hamers, Hammer, Haner-Bana, Humr, Karo, Kerre, Koke, Nkamar1.

Ce sont surtout des éleveurs de bovins, le bétail occupe donc une place très importante dans leur culture. Les Hamers sont semi-nomades. Ils suivent un itinéraire, tracé par leurs ancêtres, avec de nombreux points d'arrêt. Durant leurs longues pauses, si la saison s'y prête, ils se mettent à l'agriculture, plus particulièrement la culture du sorgo. Ils vivent dans des huttes précaires, qui convient à leur vie semi-nomade. Lorsqu'ils se retrouvent placés près d'une ville où se trouve un marché, ils n'hésitent pas à s'y rendre, afin de se procurer d'autres biens.

La principale et la plus populaire cérémonie que les Hamers célèbrent est l'Ukuli. L'Ukuli est un rite initiatique, qui marque le passage des garçons à l'âge adulte, la possibilité de contracter un mariage, et de posséder un troupeau. Il donne lieu à de très grandes festivités, qui durent plusieurs jours. Le garçon qui participera à l'Ukuli est désigné par le chef de la communauté. Une fois désigné, le garçon porte le nom d'Ukuli. Durant cet événement qui rassemble toute la communauté Hamers, l'Ukuli doit sauter par dessus un troupeau, que l'on a aligné. Il doit effectuer quatre aller-retour, sans chuter, pour réussir le rite, et acquérir le statut d'adulte. Les festivités commencent, les femmes apportent de grandes quantités de Bière de Sorgo, les chants et les danses, les rencontres prennent part. Après l'Ukuli, le nouvel homme, appelé Donza, intègre pendant quelque temps, le cercle des Maz, tout cela dans la logique du cycle initiatique. Les Maz forment un groupe fermé, ayant leurs propres rites, leur propre alimentation, leur propre façon de communiquer.

Les Hamers ont un sens particulier de l'esthétique, et les deux sexes accordent beaucoup de temps à s'embellir. Les femmes portent un habit fait de trois peaux de chèvre décorées de cories (deux en guise de jupe et une en tant que corsage). Elles ont de nombreux bracelets en cuivre, fabriqués à partir des balles de "kalach" autour des avant-bras. Elles coiffent leurs cheveux en fine Locks, qu'elles enduisent d'un mélange de beurre et d'ocre rouge.

Les hommes portent aussi les colliers, mais de façon moins importante. Ils ont les oreilles percées, dans lesquelles ils insèrent plusieurs anneaux d'argent. Ils ont souvent les cheveux tressés. Durant la période de L'Ukuli, l'homme défait ses tresses, et rase la partie frontale de son crâne. Une fois qu'il a réussi son initiation, ses cheveux sont enduits d'argile, de différentes couleurs. Lorsqu'ils sont secs, on fixe une plume d'autruche sur la calotte qui s'est formée.

La vache, le bétail, est la principale richesse du Hamer. Plus le cheptel est grand, plus le rang social des propriétaires est élevé. Les Hamers ont un vocabulaire très élaboré, pour désigner chaque teinte, chaque forme, les tailles et le pelage de leurs bêtes. Chaque Hamer porte le nom d'un bovin, en plus de son nom traditionnel. Beaucoup d'heures sont consacrées au soin des bêtes.

Selon les chiffres du recensement de 1994 en Éthiopie, 42 448 personnes se sont déclarées Hamer sur une population totale d'environ 53 millions, soit près de 0,1 %2.

Les Hamers sont très touchés par l'occidentalisation de ses membres. Leur culture disparait peu à peu. Le prosélytisme religieux, des chrétiens et musulmans, qu'ils subissent également. Le tourisme, de plus en plus massif dans cette région, entraine de nombreuses dérives, dont la commercialisation de leurs cultures.

           

     

       

           

Video of Turmi Hamer market

              

 

Dasanesh

The Daasanach are an ethnic group of Ethiopia, Kenya and Sudan. Their main homeland is in the Debub Omo Zone of the Southern Nations, Nationalities, and People's Region of Ethiopia, around the North end of Lake Turkana. According to the 2007 national census, they number 48,067 people (or 0.07% of the total population of Ethiopia), of whom 1,481 are urban dwellers.[1]

There are a number of variant spellings of Daasanach, including Dasenach and Dassanech (the latter used in an episode about them in the TV series Tribe). Daasanach is the primary name given in the Ethnologue language entry. The Daasanach are also called Merille especially by their neighbours, the Turkana of Kenya. The Daasanach are traditionally a pastoral people by tradition, but in recent years have become primarily agropastoral. Having lost the majority of their lands over the past fifty years or so, primarily as a result from being excluded from their traditional Kenyan lands, including on both sides of Lake Turkana, and the 'Ilemi Triangle' of Sudan, they have suffered a massive decrease in the numbers of cattle, goats and sheep. As a result, large numbers of them have moved to areas closer to the Omo River, where they attempt to grow enough crops to survive. There is much disease along the river (including tsetse, which has increased with forest and woodland development there), however, making this solution to their economic plight difficult. Like many pastoral peoples throughout this region of Africa, the Daasanach are a highly egalitarian society, with a social system involving age sets and clan lineages - both of which involve strong reciprocity relations.

     

   

          

   

Turkana (1.000.000 people) :

Les Turkana sont une population d'Afrique de l'Est vivant principalement au nord-ouest du Kenya dans une région chaude et aride située à l'ouest du Lac Turkana, mais également en Éthiopie et à un moindre degré au Soudan du Sud
 

The Turkana are a Nilotic people native to the Turkana District in northwest Kenya, a semi-arid climate region bordering Lake Turkana in the east, Pokot, Rendille and Samburu to the south, Uganda to the west, and South Sudan and Ethiopia to the north. They refer to their land as Turkan.

According to the 2009 Kenyan census, Turkana number 855,399, or 2.5% of the Kenyan population, making Turkana the third largest Nilotic ethnic group in Kenya, after the Kalenjin and the Luo, slightly more numerous than the Maasai, and the tenth largest ethnicity in all of Kenya.

Traditionally, men and women both wear wraps made of rectangular woven materials and animal skins. Today these cloths are normally purchased, having been manufactured in Nairobi or elsewhere in Kenya. Often men wear their wraps similar to tunics, with one end connected with the other end over the right shoulder, and carry wrist knives made of steel and goat hide. Men also carry stools (known as ekicholong) and will use these for simple chairs rather than sitting on the hot midday sand. These stools also double as headrests, keeping one's head elevated from the sand, and protecting any ceremonial head decorations from being damaged. It is also not uncommon for men to carry several staves; one is used for walking and balance when carrying loads; the other, usually slimmer and longer, is used to prod livestock during herding activities. Women will customarily wear necklaces, and will shave their hair completely which often has beads attached to the loose ends of hair. Men wear their hair shaved. Women wear two pieces of cloth, one being wrapped around the waist while the other covers the top. Traditionally leather wraps covered with ostrich egg shell beads were the norm for women's undergarments, though these are now uncommon in many areas.

The Turkana people have elaborate clothing and adornment styles. Clothing is used to distinguish between age groups, development stages, occasions and status of individuals or groups in the Turkana community.

Today, many Turkana have adopted western-style clothing. This is especially prominent among both men and women who live in town centers throughout Turkana.

The Turkana rely on several rivers, such as the Turkwel River and Kerio River. When these rivers flood, new sediment and water extend onto the river plain that is cultivated after heavy rainstorms, which occur infrequently. When the rivers dry up, open-pit wells are dug in the riverbed which are used for watering livestock and human consumption. There are few, if any, developed wells for community and livestock drinking water, and often families must travel several hours searching for water for their livestock and themselves.

Livestock is an important aspect of Turkana culture. Goats, camels, donkeys and zebu are the primary herd stock utilized by the Turkana people. In this society, livestock functions not only as a milk and meat producer, but as form of currency used for bride-price negotiations and dowries. Often, a young man will be given a single goat with which to start a herd, and he will accumulate more via animal husbandry. In turn, once he has accumulated sufficient livestock, these animals will be used to negotiate for wives. It is not uncommon for Turkana men to lead polygynous lifestyles, since livestock wealth will determine the number of wives each can negotiate for and support.

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Video sur les conflits des Turkana avec leurs voisins Pokot ou Dassanesh : video 1 ; video 2

 

Villages

  

   

   

       

         

   

Accomodation

   

   

Food

           

       

Water issue in the turkana area

      

       

La combinaison des changements climatiques, des projets de développement à grande échelle de l’Ethiopie au Nord (barrages sur l'Omo et irrigation des terres), et de la croissance démographique représente une menace urgente pour les habitants de la région du Turkana.

Le lac Turkana risque de disparaître, et la santé ainsi que les moyens de subsistance des populations autochtones qui vivent dans cette région risquent de disparaître avec lui.

Voir la video de Human Right Watch

 

Peter Gostelow est passé 2 mois avant dans l'autre sens (Sud -> Nord) : son blog sur l'Ethiopie ; son blog sur le nord Kenya

 

Au jour le jour 

 
J J date Etapes Accom km vélo D+ Weather Etat piste

Altitude

Highlight km Bus
1 me 28/10/2015 Départ Paris CdG 12h Avion              
2 j 29/10/2015 Addis Abeba CS (Eskew) 35   25° Tarmac 2 340 Eskew help  
3 v 30/10/2015 Arba Minch (Sud Ethiopie) H 1   28°   1 250 Intégration 440
4 s 31/10/2015 Konso H 90 950 28° Tarmac et 20 km de boue 1 480 Relief +, infamous kids  
5 d 01/11/2015 Weito H 72 975 27° Tarmac 1 580 "you you you"  
6 l 02/11/2015 Key Afer H 41 1 100 ras Tarmac 1 800 Campagne, relief ++  
7 ma 03/11/2015 Key Afer (village Bana) Case de Jinka 5   28° Piste ok 1 800 Marché Alduba, case Bana  
8 me 04/11/2015 Turmi  H 79 570 chaud piste +/- ok 880 tribus et villages  hamer  
9 j 05/11/2015 Omorate  H 71 170 ras 10 km piste puis tarmac 365 Belle route vide, singes  
10 v 06/11/2015 Omorate  H 10 30     365 scotché par la pluie et la boue  
11 s 07/11/2015 Poste Police Kenyan border Police 35 100 chaud ++ piste sableuse  365 No mans land, chaleur !!!  
12 d 08/11/2015 Lowarengak Paroisse 32 100 chaud++, soleil+ piste, sable, 50% de marche 360 Sable, bush  
13 l 09/11/2015 Narokotome Saint Paul Mission 38 175 35/40° piste - 435 Piste, lac, Mission St Paul  
14 ma 10/11/2015 Kataboi Paroisse 50 120 35°/40° piste - 360 Piste …  
15 me 11/11/2015 Kalokol Paroisse 32 50 35° piste - 320 Paysages, baignade, John  
16 j 12/11/2015 Lodwar Paroisse 62 320 32/38° Tarmac +/- bon 490 Paysages ++  
17 v 13/11/2015 10 km avant Lokichar Ecole 96 250 32/38° piste défoncée 743 Joli brousse, perte APN  
18 s 14/11/2015 Kainuk Paroisse 95 400 32/35° piste tape cul vers la fin 825 Savane sèche puis humide  
19 d 15/11/2015 Chepareria Paroisse 79 1 475 32°/30 piste - puis tarmac 1 750 Relief, Father Dormus  
20 l 16/11/2015 Nyahururu H 1   32° tarmac 2 380 Bus, hassle 340
21 ma 17/11/2015 Réserve plateau Laikipia near Check Point Camping 44 250 32° piste boueuse affreuse 1 950 Joli plateau, réserves, embourbement  
22 me 18/11/2015 Nanyuki H 55

400

30° piste boueuse en passe de sécher puis sèche 1 945 Id  
23 j 19/11/2015 Karatina Paroisse 71 870 28° tarmac 1 765 Route, vert  
24 v 20/11/2015 Nairobi H 6   20/28° tarmac 1 700 Downtown 128
25 s 21/11/2015 Nairobi H 52 150 Nuages/pluie 20/27° tarmac 1 700 zoo  
26 d 22/11/2015 Paris            40 Survol du Soudan et de l'Egypte  
        1152 8455         908
CS : couchsurfing ; H : hôtel                
Budget : 1120 € (vol et vélo avion  : 650 € ; dépenses locales : 370 € ; 2 visas : 100 €)    

 

 

Aéroport d’Addis Abeba 2h du mat : le regard d’autrui  met le réel à sa place et déplace la nôtre

L’aéroport de Bole est devenu très silencieux. Après  les formalités  de visa (comptoir sur place pour les rares touristes), d’immigration et de douanes, tout le monde est parti. Je reste seul à regarder mon gros carton avec le vélo à l’intérieur, dans un aéroport devenu vide. Quelques douaniers me regardent  aussi regarder le carton. Un carton est toujours un gibier potentiel pour un douanier. La verrière craque sous l’effet de la fraicheur nocturne.

Le Blanc (ici on l’appelle « Faranji ») est parfois possesseur d’objets mystérieux. Le gros carton en est un.

Il me reste à me demander ce que je fais là, à 2h du mat, plein de fatigue dans le corps et loin de chez moi. Je déteste arriver de nuit dans une ville inconnue.

L’action permet souvent de trouver le chemin et parfois même le but. Le but de l’action bien sûr... Remonter le vélo d’abord. Je me mets dans un coin de l’aéroport avant la sortie de la douane et j’entame les opérations sous l’œil intéressé des douaniers enfin de ceux qui ne se sont pas encore avachis sur les banquettes ou enfouis sous des couvertures bien sales.

Remonter le vélo minutieusement démonté 3 jours auparavant pour être emballé et transporté dans l’avion avec le moins de risque de casse possible.

Une opération complexe et non dépourvue de risque. Dé saucissonnage des bâches,  déploiement des pièces, recherche d’un vague ordre de montage, inspection pour vérifier  si rien n’a été cassé. Boulon, écrou, câble, sandows, tension, réglage, centrage. Le guidon, les pédales, la chaine, la selle, la roue avant, les sacoches. Le public des douaniers se réduit au fur à mesure que la nuit avance mais 3 sont assidus et cela finit par me plaire et m’encourager.

Quand on vous regarde faire, quelle est la part de vous qui reste vous  et celle qui procède un peu du paraître et de l’exhibition ? J’ai trouvé la réponse dans l’analyse que fait Gilles Deleuze à propos du Livre de Tournier, Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Le regard d’autrui nous rassure parce qu’il forme un écran entre nous et le réel, il médiatise les choses et leur donne une plus grande « stabilité ». Ce regard nous permet de faire ce que nos yeux ne peuvent pas faire, tourner autour des choses, aller de l’autre côté du miroir. Mais aussi, le regard des autres nous enferme dans un jeu, nous tire vers leurs  propres valeurs, vers l’image de ce qu’ils attendent de nous, pour confirmer le sentiment de leur propre existence. Un rapport de force dont  la ligne de front est très mouvante.

Autrui, c’est la possibilité du monde et encore l’enfermement  dans un rôle aux frontières mal définies.

Foin de la discrétion du touriste nouvel arrivant dans un pays, il faut mettre un peu de spectacle et de fantaisie dans le remontage d’un vélo enfermé dans un aéroport vide à 2h du matin, récompenser le public des douaniers peu nombreux, peu bavards mais assidus. Je fredonne doucement un air musical (U2 ou Lhassa ou Schubert je ne me souviens plus bien), brandis le tournevis comme une baguette de chef d’orchestre, présente  avec méthode les réglages à faire, les affine avec maniaquerie, étale bien en évidence et sur un large rayon avant de les redistribuer dans leurs sacoches définitives l’ensemble de mes biens et possessions où les 2 slips vont côtoyer les bouteilles d’eau,  les clés à Allen alignés avec la gamelle en fer blanc et les sandales Shimano pas encore aux pieds. Un pied de nez au destin. A quoi se résument les choses ? A bien peu de choses en fait. Un inventaire froid. Mais mon espace vital devient soudain énorme, il se dilate au gré de ce brin de folie passagère, une vraie exposition, une exhibition surtout. Plus rien ne doit être caché aux douaniers qui n’en demandaient pas tant mais restent intéressés. L’aéroport vide peut bien supporter un tel étalage.

Non je ne vends rien et ne cherche à tenter aucun voleur. D’ailleurs aucun voleur ne sévit en ce lieu et à cette heure là dans cette capitale pourtant réputée pour ce fléau. Et puis, au bout d’un certain temps, les choses rentrent dans l’ordre, les sacoches prennent place sur un vélo monté, les roues ne sont pas voilées, les freins s’appliquent de manière symétriques sur les jantes en alu. Tout ça parait assez propre même.  Il ne reste plus que le final de cette ouverture majestueuse : un essai dans l’aéroport. Je monte sur le vélo et fais le tour du hall d’arrivée vide en chantant. Cette fois, les douaniers pensent que leur prise sera nulle, qu’ils ne pourront rien tirer de moi, rien faire pour moi et que seule la fatigue en viendra à bout.

Après 2 ou 3 mises au point, l’essai est déclaré concluant, il est 3h30 du matin je gare le vélo près d’une banquette, à coté des douaniers endormis qui m’en ont donné finalement l’autorisation, chasse mes premiers moustiques africains, me désaltère aux toilettes,  y remplis mes bouteilles et viens m’affaler alors que les femmes de ménage entament leur balai du matin.

Pour ce voyage, il y a manifestement eu une préparation trop longue mettant en œuvre trop d’inconnues (famille, transport du vélo dans l’avion, itinéraire, sécurité), une longue chaine dont on cherche à identifier les maillons faibles mais finalement sans y réussir vraiment.

Beaucoup de conseils reçus : attention aux coliques néphrétiques (prends de la morphine), attention aux lions (prends un bombe lacrymo), attention aux bandits et aux tribus armés (prends un transport en camion s’il le faut). Evoquant même le non-retour (« pas envie de me retrouver seul face à l’ingénieur patrimonial »).

La préparation est une épaisse couche nuageuse qu’il faut un jour percer à vue ou aux instruments quand la décision de partir est prise. Epaisse. On ne voit pas le jour, on ne comprend pas toujours le sens de ce que l’on fait. Les réflexes des voyages antérieurs ont largement eu le temps de s’émousser, le monde où l’on va se rendre est peuplé de méchants. Le monde que l’on quitte va certainement s’effondrer sans le soutien qu’on lui apporte. Et c’est bien ce que disent les moustiques collés sous le vent du mur lors de la tempête. « Sans nous, le mur s’effondrerait ».

A 6h, action. J’emprunte le téléphone  d’un employé de l’aéroport qui vient de prendre son poste, tire Eskew du lit : il me donne RDV devant un café dont je ne comprends pas bien le nom ni l’adresse et roule mes premiers mètres  sur la bretelle qui permet de quitter l’aéroport.  On est à 2.300 m d’altitude, il fait doux, quelques nuages dans un ciel plutôt bleu, des chants d’oiseau et  des gens qui me regardent. Le spectacle commence. Pour moi comme pour eux. C’est bon, j’y suis. Et puisqu’on y est, il faut y aller.

A 9h30 Eskew (un contact internet WarmShower) part au travail et me laisse les clés de son appartement dans la banlieue HLM d’Addis. Il rentrera ce soir avec sa copine et moi je le quitterai dans la nuit suivant à 3h du matin pour Arba Minch. On ne sera vu que quelques dizaine de minutes, on ne se connaissait pas avant. « Dis donc toi tu fais vite et tu ne prends pas le temps de visiter Addis Abeba. J’aurai aimé qu’on fasse plus connaissance ». On rester en contact sms sur toute la couverture du réseau mobile telecom d’Ethiopie.

Et quoi ? Partir pour écrire et capturer ces instants fugaces, partir pour guérir, guérir pour rentrer, plus tard.

 

L’alcool de grain fait passer l’hystérie des enfants sur la route du sud  Ethiopien

 

Pas trop envie d’en parler. D’abord parce que le sujet a déjà été évoqué souvent, par tous les marcheurs et les vélos qui ont traversé le pays. Donc j’étais prévenu et quasiment immunisé.

Ensuite parce qu’il s’agit des enfants, notre avenir, ceux qui prendront notre place comme nous avons remplacé nos ainés. Est-ce qu’on touche aux enfants ? Qu’est-ce qu’on dit des Khmers rouges, des enfants soldats. Ils sont ce qu’on a fait d’eux.

Bref, pendant 3 jours dans le sud Ethiopien entre Key Afer et le début de la zone tribal, rouler fut un petit enfer : « you, you, you », « bir, bir, bir (monnaie locale) », « Heilen, heilen, heilen », « fuck you ». Des dizaines de fois par jour, la même scène se reproduit : un enfant vous repère à l’entrée du village, au milieu du village, à la sortie du village, devant l’école ou sa maison, ou tout simplement un guetteur dans les champs surveillant le troupeau de vaches. Il donne l’alerte et s’installe sur la route pour mimer quelques gestes grotesques directement issus du comportement des singes (présents dans la région). Il est vite rejoint par 2 puis 5 puis 10 parfois 20 ou 50 de ses collègues. Le ton mont. La prise en chasse du vélo démarre et chacun sait qu’en matière de marche et de course à pied les éthiopiens ne sont pas des trainards.

En descente ça pourrait aller mais en montée, ils vous rattrapent et dépassent largement. Le niveau sonore de provocation et de harcèlement augmente à chaque seconde. Les gestes de menace  font leur apparition avec les outils disponibles (machette, fouet, ou simple vêtement). Les tentatives de vol dans les sacoches ne sont pas longues à venir. Aucune attitude ne convient pour faire baisser le niveau d’hystérie collective. Elles sont toutes vouées à l’échec. Que ce soit le sourire, les mots de bonjour, la tentative de dialogue, l’indifférence absolue, le mime de la folie, la colère, la menace, la posture de méditation profonde. Bref le « Farenji » est perçu comme un corps étranger qu’il faut phagocyter et expulser.

Une fois, ça passerait, mais le même phénomène répété toute la journée induit un peu de découragement. Si on y ajoute, la chaleur, la fatigue des premiers jours de vélos avec pas mal de dénivelé quotidien, ça devient un handicap certain.

La diarrhée est arrivée dès le premier jour de vélo. Vous imaginez ce qui se passe si vous essayez de vous isoler dans la campagne, derrière des buissons : la poursuite continue et ne cesse que pour se transformer en postes d’observation.

Un bon point quand même : l’égalité des sexes semble bien réelle chez ces enfants-là puisque les petites filles ne sont pas les dernières dans la chasse à l’étranger.

Allez, quelques souvenirs plus sympas de ces 2 ou 3 jours à rouler à l’entrée de la zone des tribus.

J’arrive à Konso. Petite ville à proximité d’un site aride de 55 km2, avec des terrasses en pierre et des fortifications, des statues de bois anthropomorphiques et qui a été classé par l’Unesco au titre du Patrimoine Culturel Mondial (ils classent beaucoup en Ethiopie). La route n’en finit pas de monter. Un « vieux » (63 ans) issu d’une tribu locale (les « Konso ») habite dans une petite maison d’où il est censé garder un puits. Il se réjouit de mon arrivée dans le village et me raconte sa vie dans un anglais moins pauvre que ne l’est mon amharique. Nous discutons des vertus de l’âge et de la façon différente dont il est perçu dans les différents coins du monde. Sa joie est très grande et son enthousiasme finit par trahir l’absorbation de quelque boisson fermentée. Il tient absolument à ce que j’établisse mon camp pour la nuit dans son abri. Ou même dans son village natal à 4 km de là. Je serai plutôt partant de partager un morceau de l’existence d’une des rares personnes qui m’ait témoigné de la bienveillance aujourd’hui, lors de mon 1er jour de vélo. Mais il me fait comprendre qu’il a une démarche importante à faire avant que je ne puisse m’installer. Il s’agit bien sûr, de son réapprovisionnement en boisson dans le village. Nous nous quittons très bons amis en rigolant bien. Pour moi, il est trop tôt dans la journée pour prendre une cuite.

A force de fouiner dans le village pour trouver un hôtel bon marché (très peu d’aide des locaux), je finis par tomber sur une petite pension gérée par un gentil petit «manager». C’est du moins comme cela qu’il se désigne. La douche à l’extérieur est épouvantablement sale ainsi que les WC mais j’apprendrais vite que c’est une constante dans ce coin du pays. Je négocie avec le gentil manager qui parle quelques mots d’anglais. Et tout de suite après que la négociation ait été finalisée, il me réclame un supplément. J’apprendrai plus tard que c’est également une tradition ici. Je négocie ce supplément sous la forme d’un diner ensemble. On file dans le noir vers l’échoppe d’en face et j’absorbe 2 « injeras » coup sur coup pour bien me caler après cette première journée de vélo.

Le lendemain, au sortir du village, une énorme côte à monter (les routes ne s’embarrassent pas à faire des lacets), montée assez féroce avec la samba de gamins qui reprend. Puis, progressivement, le vélo se glisse dans des paysages différents (paysages de montagne avec un relief assez chaotique, des escarpements, des cultures en terrasses sur de tous petits champs avec des hameaux partout et des troupeaux énormes (buffle et chèvre) ; des gens différents, des vêtements différents (et parfois une absence de vêtement), une attitude plus indifférente à mon égard. Sans m’en rendre compte, je suis passé dans un autre monde, celui des tribus. Il faut marquer cela. Au bord de la route, vers 10h, à côté d’une cabane en branche, des gens assis sur des troncs d’arbres  en train de boire en se passant une calebasse d’un liquide épais. C’est une céréale (sorgho ?) fermentée. Je m’installe et m’intègre facilement « au tour de table » dans le circuit de la calebasse.

La bouillie de sorgho fermentée au petit déjeuner, ça passe bien et ça rend gai.

Note sur les enfants en Ethiopie (in le site d’autres cyclistes d’Afrique : Nomadesxnomades.com)

Éthiopie: l’exception…

« Nous, les Éthiopiens, ne méritons pas l’Éthiopie! » jeune entrepreneur patriotique de Mékélé, Tigray.

« Comment se fait-il que la vulnérabilité évidente de la voyageuse ou du voyageur à vélo, qui ouvre cœurs et portes partout ailleurs - ce que nous avons vérifié en tout cas dans près de 80 pays -, la règle, devient la faiblesse à exploiter en Éthiopie? Convaincus que débarquer dans une communauté sur un vélo chargé est la manière la plus pacifique de se présenter en tant qu’étrangers, les locaux souvent étonnés mais surtout rassurés quant à nos intentions, nous abordent, questionnent puis offrent leur soutien—théorie maintes fois vérifiée aussi!—, nous avons été choqués de constater dans la campagne éthiopienne, fabuleuse contrée par surcroît, qu’on profitait plutôt de notre lenteur et ouverture caractéristiques, l’accessibilité qu’elles procurent, pour mieux nous harceler. Dès que nous roulions sous les 10km/h, et c’est arrivé souvent dans ce pays de montagnes, on y allait de ses demandes outrancières et obsessives, gravitant toutes autour de considérations matérialistes. Attristés aussi d’avoir eu la nette impression que la seule manière de vraiment établir une relation avec ces paysans aurait été de leur faire un don! Mais encore aurait-il été suffisant? Et ces enfants qui nous poursuivaient sur des kilomètres, nous embusquant depuis un talus ou encore au détour d’une courbe, lançant pierres - tiens, j’en ai reçu une sur la tête par des p’tits morveux qui nous suivaient, à la montée vers Key Afar, à deux jours de notre sortie de l’Éthiopie, tout ça devant plusieurs dizaines d’adultes de la tribu Banna qui socialisaient autour d’un puits aménagé par une ONG européenne et trouvaient la scène divertissante…, s’agrippant à nos vélos, jouant du fouet à notre passage et donnant coups de bâton sur les sacoches. Tous les jours…et pourquoi?

Si ces mauvais traitements étaient l’apanage d’une région ou deux, on pourrait tâcher de les éviter, les contourner en attendant qu’on adopte une attitude moins hostile. Mais nous avons pédalé pendant 10 semaines et parcouru près de 2500 bornes en Éthiopie et dans toutes les zones rurales où nous avons roulé - à part celle des églises rupestres du Tigray, entre Adigrat et Mékélé, où une campagne de sensibilisation a fait le tour des écoles, nos rapports avec les paysans ont été marqués par ces désagréments. La littérature de voyage d’aventure et les blogues d’aventuriers à vélo en Éthiopie évoquent tous ces difficultés majeures rencontrées sur les routes et sentiers à évoluer à basse vitesse, marcher ou pédaler ! Et pourtant, ce pays rassemble tous les éléments pour devenir un paradis pour la pratique de ces activités ! Heureusement que parmi les destinations de la planète Vélo, l’Éthiopie demeure une exception…

 

Visiter les tribus c’est d’abord payer d’abord son tribu

 

On va généralement dans la vallée de l’Omo (Sud Ethiopie) pour voir les « Tribus », leurs marchés, leurs accoutrements, parfois leur nudité et leurs peintures corporelles.

Ce sont des peuples qui vivent sur un territoire somme toute assez limité mais qui suffit à leur bonheur. Les tribus s’observent souvent avec méfiance les unes les autres et s’affrontent quelques fois violemment à cause de vols de buffles. Une lutte sans merci entre eux. Pour toutes richesses, l’homme a son troupeau, ses femmes et ses enfants, ses ornements corporels, son appui-tête et ses armes.

Ces peules habitent une des 8 régions de l’Ethiopie qui porte le nom magnifique de « Région des Nations, des Nationalités et des Peuples de l’Ethiopie ».

Tout est dit, est-ce qu’on n’en a oublié aucun parmi les Arboré, les Tsemaï, les Bana, les Dassanech, les Mursi, les Hamer, les Dorzé, les Konso ? Recomptez bien.

Femmes dont le dos a été lacéré par les coups de fouet rituels, interminables rangées de colliers en coquillage chez les hamers, peaux dessinées ou roulées dans la cendre, tresses rousses beurrées, parures de cornes de bêtes ou de plumes d’oiseaux ou de fleurs, lèvres inférieures élargies avec des plateaux. Ce sont bien sûr la plupart du temps des parures de cérémonie, mais pas que. Les tribus ne circulent pas sur les pistes de l’Ethiopie en costume cravaté ou tailleur.

Une vision stéréotypée de l’Afrique, à mi-chemin des démons de l’enfer et du carnaval joyeux, telle que lues dans les livres d’enfance, feuilletée dans les magazines couleur de la salle d’attente du dentiste et qui oscille entre la préservation de ses traditions et l’envahissement par la modernité qui progresse à toute allure et, à la fin,  uniformise les modes de vie.

Des tribus, il y en a donc beaucoup entre le sud Ethiopien et le nord du Kenya arrivant vaillamment  à survivre à la sécheresse et aux conflits qui les opposent  parce que situés  en marge des pays  et n’intéressant pas grand monde. Pas grand monde ?

Si les ethnologues. Si, les touristes visitant Ethiopie en mal d’exotisme, à grand coup de déplacement en 4x4 blancs organisés par les agences d’Addis Abeba. Pour chaque photo, on paye. Des visages sortis d’un creuset étrange, d’une autre planète, qui seront gravés dans les cartes mémoires des appareils et se revendront des fortunes aux agences occidentales qui commercialisent ensuite « l’exotisme et l’authenticité ».

Des tribus, il y en a beaucoup. Chacune compte entre 400 personnes et 1 million de personnes (Les Turkana, de langue nilotique, sont les plus nombreux, je crois). Sur ma route, j’en ai croisé pas mal sans tous les identifier parfaitement.

Chez les les Banas, j’ai dormi dans une case, chez Me. Jinka et ses enfants. Les Hamers  ensuite : (« tu ne passeras pas en vélo chez eux, ça chauffe dur surtout dans le coin de Dimeka, prend un transport »). Les hamers marchaient le long de la route et je roulais à côté d’eux. Cheveux tressés et huilés des femmes, peaux de chèvre autour des hanches, seins nus, bracelets en cuivre nombreux, bijoux colorés, parfois un lourd collier fait d’anneaux tenus par du cuir. L’exotisme des tenues, il y a bien longtemps que je m’y étais habitué, je ne le voyais même plus et nous cheminions ensemble. Le voyage banalise les aspérités du voyage en les brassant dans un immense chaudron.

Une autre petite tribu (20 personnes) : les 4x4 blancs des agences de tourisme croisés ou doublés par eux. Chuintement des pneus sur le gravier. Souvent en convoi de 3 voitures. Du safari dans un zoo humain. Un zoo où les tribus autochtones exploitent et vendent leur propre potentiel ethnographique. Ils font payer pour la photo : il m’est parfois arrivé sur la route, en vélo, de me faire alpaguer par des jeunes femmes pas contentes que je ne photographie pas. Eh quoi me disais-je d’autres l’ont fait avant moi, t’as qu’à te servir sur le web. Hélas, je ne croyais pas si bien dire et l’avenir me donna raison.

Les 4x4 blancs s’arrêtaient pour moi sur la route. Surtout quand ils m’avaient déjà vu ailleurs sur leur itinéraire. Sortie des grands blancs, généralement au moins aussi vieux que moi, foulards autour du cou pour la poussière de la piste, imposantes caméras à la main. Un dialogue très conventionnel « dites donc moi je pourrais pas faire ce que vous faites ! » « Et vous êtes seuls ?» auquel répondait la fausse modestie du cycliste en vadrouille qui en a vu d’autres… « Vous êtes le bienvenu » Mais rien d’aussi spectaculaire que le fameux : « Doctor Livingstone I presume ? » ; «… Stanley ! »

Les femmes hamers ont les cheveux tressés et englués dans du beurre genre un peu rance et très odorant : elles m’apostrophaient donc pour se faire tirer le portrait. Se faire tirer le portrait, une source de revenu complémentaire pour elles. Un zoo où les animaux sont en liberté et réclament de l’argent pour payer aux gardiens leur nourriture. Un zoo humain qu’ils disaient et ce n’était pas faux : mettez-vous dans la peau d’un hamer est-ce que vous ne feriez pas la même chose ? Les hommes, eux portaient souvent soit un bâton soit un flingue (soit une pétoire soit une kalachnikov) destiné, à ce qu’on m’a dit, à défendre leur  troupeau contre la convoitise des tribus voisines. L’eau et les pâturages se faisaient rares, la concurrence inter tribales était rude. Et moi je pédalais au centre de ce petit paradis qui m’enchantait. Ah que le désenchantement ne me prennent pas trop tôt.

« C’est dangereux de passer chez les Hamers en vélo autour de Dimeka, prend une voiture ou un camion » m’avait dit Escho, mon mentor de Key Afer lui-même issu d’une tribu cousine, les Banas. Bon ça y est, je m’étais dit, ça recommence. La sonnette d’alarme, la machine à enclencher des angoisses. Du coup, il faut mouiller la chemise, interroger partout ceux qui ont une parcelle d’autorité, de connaissance et … d’anglais. Les flics, les conducteurs de bus, les guides des 4x4 à touriste chic. Finalement, là encore, rien de sérieux. On rentrait une fois de plus dans la pathologie du « le voisin est dangereux, il coupe les têtes, méfies-en toi ». J’ai  traversé sans problème, en longeant ou croisant des femmes hamers sur la route, vaquant à leurs occupations habituelles. Elles rigolaient, se foutaient parfois de moi, mendiant pour une photo. Escho, cette graine de brigand,  avait tenté sans doute le coup de me vendre un transport pour toucher une commission. C’est la vie.

Après sont venus les Dassanechs, des hommes grands et sautillants, et, comme les autres munis de leurs grand bâtons en travers de leurs épaules servant de portemanteaux à leurs longs bras. Avec, dans les mains le petit tabouret minuscule en bois pouvant aussi servir d’appui tête et sans lequel aucun homme ne peut se déplacer… Un attribut de la masculinité. Leurs cases n’étaient même plus en terre battue mais juste en morceaux de bois et d’ajonc sur lesquels on disposait une mosaïque de bout de tôles et de plastique. Bref, ça tient  du bidonville et ce n’était sans doute pas ces villages là que l’on montrait aux touristes-en-4x4-blanc-venus d’Addis Abeba avec guide et chauffeur. A Omorate, dernier village éthiopien avant la frontière, les Dassanechs viennent le matin faire leurs courses et peut-être tenir un petit emploi. Ils repartent le soir vers leurs villages, loin dans la brousse et nous nous rencontrions souvent le maton ou le soir sur la route qui mène au pont de la rivière Omo. Nous nous croisons, dans une relative indifférence, nous nous recroiserons après ma traversée en barque de la rivière et lors du franchissement du no man’s land entre l’Ethiopie et le Kenya. Voisins, indifférents, quelques vagues sourires, un peu de mendicité mais si rare et surtout si loin de l’hystérie Ethiopienne lors des traversées de villages, submergés par le flux des enfants hurleurs.

Après la frontière, c’étaient les Turkana, des hommes grands habillés de tissus dans les rouges. On n’aurait pas assez de mots techniques pour décrire leur habillement, les photos c’est si rapide alors. Vague ressemblance avec les massaïs ?

Grandes perches souvent appuyées sur des perches en bois, contemplant le monde d’en haut. Des pasteurs souvent en conflits avec leurs voisins Dassanechs pour des histoires de vols de bétails et de pâturage sur des terres non autorisées. Et aussi également pour l’accès à l’eau et aux ressources de pêches du lac Turkana situé sur leurs territoires. Du pétrole vient d’ailleurs d’être trouvé chez eux. Ce qui ne va pas arranger leurs affaires avec les voisins rivaux.

Plus au sud, ce furent enfin, les Pokots. Les femmes portent de grands colliers plateaux en perle de couleurs. Eux, ils sont en guerre contre leurs voisins du nord les Turkanas. Les Pokots sont des gens comme les autres, peut-être un peu moins originaux dans leur accoutrement. Quand on veut dire du mal de quelqu’un on dit « bête comme un Pokots », ce qui n’est pas gentil du tout. Ils tendent des embuscades sur la route pour détrousser les véhicules. « Tu verras, sur leur territoire, tu seras obligé de monter dans un camion et vous roulerez en convoi souvent escortés par la police et l’armée ; la police ne te laissera pas passer seul ». En approchant de leur territoire, j’ai mené l’enquête, interrogé les commerçants, les policiers, les militaires, le curé de la paroisse (un mexicain délicieux qui m’a hébergé, un homme très ordonné et dont la seule folie était une petite bière après le diner) juste avant la rivière-frontière marquant leur territoire. Tous ont dit « ok tu peux y aller, y a pas de problème ». J’ai franchi le pont de la rivière un matin de très bonne heure. La piste était encore boueuse des très fortes pluies de la veille. Serré les fesses en traversant la foret d’où venaient des bruits de villages qui y étaient cachés. Au bout de 10 km, un petit check point de police confirme : « tu peux y aller, c’est sûr, d’ailleurs la zone la plus dangereuse, elle est derrière toi maintenant ». Peu après, je rencontre un instit. pokot sur la route et on discute le bout de gras. «  Il y a eu des pourparlers de paix entre les Pokots et les Turkana au début de l’année. Ils ont décidé de faire la paix. On peut marcher sur cette route, sans problème et même la nuit ». De nuit ? Je n’aurais pas tenté le diable.

Après les pokots, j’en avais fini des tribus. Je n’avais pas bien vu les habits traditionnels de pokots mais j’y survivais aisément. Et quelques temps après mon retour, le père Dharmu (curé tamoul des missions africaines de l’Inde) qui m’a hébergé à Chepareria (en bordure sud-ouest de la zone pokot) m’a envoyé une photo de lui avec un de ses interlocuteurs local, un chef pokot nantis de superbes plumes et d’un énorme collier de perles plein de couleurs. J’avais admiré le contraste entre l’austère soutane noire du Père Dharmu et l’exubérante dégaine du pokot (converti ou pas ?).

Les tribus sont enfin passées, ou plutôt je suis passé chez elles et il ne s’est rien passé du tout. Le regard moderne  banalise le monde. Il n’y a plus d’enchantement sauf chez les enfants mais encore. Il me manquait une expérience plus intime de la réalité tribale. Je l’avais au fond de ma tête sans oser me la formuler.

Dormir chez eux dans une case. Et c’est Escho qui me la remet au gout du jour. « Voilà, je t’organise tout. Demain tu prends ton vélo et on roule ensemble vers un hameau de la tribu des Banas que je connais, tu prends le petit déjeuner chez eux et y laisse ton vélo. Ensuite on part au marché de Alduba avec ma moto et le soir tu rentres diner et dormir avec la famille Banas dans ta case » Escho est un jeune Bana de 21 ans qui a fait des études à Addis et, sans boulot à la sortie (c’est un classique les pays pauvres) il tente sa chance comme guide local pour survivre. Il parle anglais avec un formidable accent américain et joue du smartphone comme d’autres de la gâchette. Une coupe de cheveu d’enfer et la maturité d’un adulte de 40 ans. Banco, je dis et c’est comme ça que je peux vous raconter ma nuit chez Mme Jinka.

 

Ma nuit chez Mme Jinka (extrait du carnet de bord)

 

On part de Key Afer à 7h moi sur le vélo et Escho sur la moto de son collègue. 6 km de piste sur la route de Dimeka, et un embranchement à droite : on descend dans le ravin par un sentier qui nous amène à la case isolée d’une famille Bana. C’est l’heure du petit déjeuner : décoction d’écorce de café bouilli. Toute la famille est là dans la case assise sur les peaux de chèvre. Mme Jinka, la mère, environ 35 ans s’affaire devant la marmite et les différentes calebasses. Il n’y a que des objets traditionnels, le plastique est quasiment absent. Le père part aux champs et Mme Jinka sert une bouillie de sorgho fermentée et d’herbe. L’Afrique telle qu’on se l’imagine, l’Afrique de nos livres d’enfants, l’Afrique des tribus. Inchangée.

La case est en terre battue, les murs sont armés de bois et il y a souvent des trous à réparer (Mme Jinka en réparera justement un aujourd’hui sans doute à cause mon passage). Par terre des peaux de chèvre séchées, raides.

Chez les Bana comme chez leurs cousins les Dimekas, la chevelure des femmes est tressée (multi tresses), un peu décolorée et beurrée (donc odorante vu la chaleur). Elles portent des colliers de perles ou de coquillage autour de la taille. Le torse est nu. Une petite  jupette en cuir.

Un enclos à chèvre est attenant à la case.

Le foyer, c’est juste 3 pierres. Une jarre en terre cuite est inclinée dessus et c’est dedans que bout la décoction d’écorce de café. Une louche en calebasse avec manche en bois permet de servir.

5 enfants entre 6 mois et 14 ans. Les hommes sont partis aux champs. Les affaires et le vélo du Faranji sont rangés dans la case ce qui contribuent à diminuer singulièrement son volume habitable. Les chèvres sont sorties de leur enclos pour aller pâturer. Elles sont gardées par les gamins à coup de bâton et surtout de jets de pierre directionnels. Seuls les chevreaux restent dans l’enclos. Le chien jaune garde l’entrée de la case très paisiblement en venant laper par terre les restes de nourriture laissés par les enfants. Mais ces derniers ne laissent pas grand-chose tant leur appétit est féroce.

On est à 1480 m d’altitude, ce n’est pas un village juste un hameau constitué de 5 à 8 cases.

Je retourne à la route abandonnant mon vélo chez Mme Jinka. On retrouve la moto taxi avec Escho et à 3 sur l’engin, direction le marché d’Alduba à 20 km de là. Bon, bien sur, la moto tombe en panne sans cela on se dirait qu’il manque quelque chose et on ne serait pas en Afrique. Il s’avère que c’est une banale panne d’essence. Le chauffeur repart en arrière vers Key Afer pour s’en procurer, et nous, on marche sur la piste… vers le marché bana/hamer d’Alduba. Il a plu cette nuit et tout est boueux au sol.

D’abord le marché au bétail (chèvres et vaches) tenu par les hommes. Très colorés, regardez les  photos. Les tribus sont indifférentes aux quelques faranji présents.

Ensuite, de l’autre côté de la piste,  le « marché général » tenu plutôt par les femmes Bana ou Hamers. Mais il s’y mêle aussi des commerçants  éthiopiens. Ce sont d’ailleurs eux, les éthiopiens, qui sont les acheteurs du bétail local qu’ils transportent dans des camions. Eux qui tiennent aussi sans doute les quelques commerces locaux permanents. Les tribaux semblent manifestement en situation de dominés. Le marché finit par être épuisant avec la chaleur qui monte (35°) et l’humidité. Les marchés sont toujours fatigants mais encore plus quand on est spectateur.

C’est autour du marché, dans les bars que se passent les choses intéressantes. Les Hamers qui ont gagné quelques sous viennent aussitôt les dépenser en boissons fermentées locales et la température devient alors franchement chaude. Les échoppes sont tenus par les éthiopiens qui viennent récupérer là l’argent qu’ils ont dépensés auprès des tribaux ! L’eau retourne toujours à la mer.

Magnifiques corps sculptés.

Quelques touristes venus dans les classiques 4x4 blancs des agences d’Addis qui ont inclus ce marché dans leur tournée.

Au restaurant, encore une arnaque sur le prix. Demandé et négocié au début du repas (injera + 2 œufs), il est doublé au moment de payer l’addition. Longue discussion avec l’aide du fonctionnaire local qui m’avait aidé dans la négociation initiale mais qui échoue à déjouer l’arnaque au Faranji  et qui finit par insister pour payer la différence à grand coup de « no problem ». Il semble que dans pas mal d’endroits, en Ethiopie on paye le double du prix (soit au départ par un prix majoré soit à l’arrivée par le doublement du prix convenu).

Il faut alors rentrer. Escho m’a largué pour faire des affaires dans son coin et il me conseille d’emprunter un des rares bus qui existent les jours de marché en direction de Key Afer pour ramener les villageois chargés de provisions. Attendre, attendre que le bus  se remplisse et qu’il veuille se décider à partir. Je le fais stopper à l’embranchement du sentier pour rejoindre la case de Me Jinka et évidemment le chauffeur me redemande le prix du billet déjà réglé au départ par Escho. Liberté et sérénité du vélo en comparaison.

Retour à la maison, c’est-à-dire chez Mme Jinka 1h avant le coucher du soleil. Par geste, je l’informe de mon souhait de me laver. Elle m’indique la direction de la « Pompa » vers le lit de la rivière à sec et j’ai un mal fou à trouver l’ouvrage déjà bien occupé par des femmes en train de faire leur tardive corvée d’eau. Difficile de se laver beaucoup dans ces conditions d’occupation de l’ouvrage. 2 bouteilles aspergeant le torse feront l’affaire.

Diner en famille d’abord devant la case où Mme Jinka confectionne les injeras : bien enrouler la coulée de pate sur la poêle de manière à réaliser une continuité de la crêpe, c’est-à-dire sans trou, sinon c’est raté et pour le chien.

Puis on rentre manger le tout à l’intérieur avec une pâte de manioc (?) à laquelle on ajoute des épices, de la menthe et des oignons. J’ai proposé mes services et ai été en charge de les couper avec mon petit opinel qui a suscité l’envie de toute la famille et de nombreuses demandes de don.

A la nuit, on est allé traire la vache dans un coin du champ voisin (maïs et haricot alternés selon les méthodes préconisées maintenant et qui apparemment sont parvenues jusqu’ici)

Le mari a disparu (une autre femme peut-être ?) et donc je suis seul maintenant pour dormir avec Mme Jinka et les enfants  (7 personnes) dans un espace qui ne doit pas dépasser les 4 ou 5 m2. On dort par terre directement sur le sol en terre battue avec juste les peaux de chèvre tannées. On est donc très serrés et un gamin qui se retourne vous flanque immanquablement son coude dans le ventre. (N’oubliez pas qu’il y a le vélo et les sacoches dans cet espace déjà très restreint.  Mme Jinka éteint le foyer mais le laisse fumer pendant au moins 10 mn sans doute pour éloigner les insectes. Il ne reste que ma frontale qui fait beaucoup trop d’envieux chez les gamins.

Des moustiques, il n’y en aura pas. En revanche les rampants entre le dos et le sol sont  nombreux et très actifs. Le lendemain, on ne compte plus les boutons de puce. Le dos, les bras, le cou, comme d’habitude.

Mais c’était sans doute le prix à payer pour dormir dans la case de Mme. Jinka aux confins de l’Ethiopie dans la zone tribale. Un vieux rêve : jusqu’ici, au Niger, au Mali, au Bénin, c’est toujours une case vide qu’on mettait à ma disposition, une case de passage, inoccupée, ou servant de lieu de stockage pour le grain. Là, il y avait une famille.

 

Vendredi 13 novembre 2015 est le jour des scorpions

 

Le 13 novembre, je quitte le presbytère de Lodwar qui est aussi l’évêché du coin (Monseigneur Dominique) après avoir échangé, comme il est coutume de le faire en Afrique, nos numéros de téléphone et nos adresses mail avec le Père Albert qui m’a hébergé pour la nuit. Et avec qui on a beaucoup discuté de la situation des catholiques au Kenya, en Afrique de l’ouest et … en France (où les perspectives d’emploi pour le clergé africain sont immenses !). Après avoir contourné la « cathédrale », je suis sur ma route au sortir de la ville, la première depuis mon arrivée au Kenya il y a une semaine. Il fait beau et le soleil est encore bas. Un groupe de Turkana colorés attend au bord de la route devant un bâtiment qui est sans doute un dispensaire.

Très vite, je suis abattu par la perte de mon appareil photo échappé de sa pochette et tombé sur la piste. 15 jours de photos perdues. Abattu par la piste qui devient affreuse alors que je pensais que le mauvais était plutôt derrière moi. Abattu par les 20 km supplémentaires que j’ai été obligé de faire pour tenter de retrouver mon appareil photo (impossible retrouver la bonne piste, il y en avait 4 en parallèle).

Abattu par le retard pris qui fait que je me trouve en pleine chaleur encore beaucoup trop loin du village à atteindre pour le soir. Les choses ont-elle une existence et une vérité hors de la représentation et de l’image maintenant ?

Une courte sieste dans le lit d’une rivière à sec a tout de suite été interrompue par la visite et le babillage de 2 bergères Turkana venues observer l’étrange sujet gisant à proximité de leurs chèvres sous les acacias piquants.

Les Turkanas : ils sont là partout mais on finit par ne plus les voir. Des vêtements très colorés, des colliers de perles multicolores empilés sur le cou des femmes, quelques accessoires indispensables pour les hommes si longilignes : le long bâton porté en travers de l’épaule et le petit tabouret oreiller. Attributs du pouvoir masculin.

A 4 heure, un peu groggy et tabassé par l’état épouvantable de la piste, j’oblique à gauche dans ce qui semble une école. C’est effectivement une école dépendante autrefois d’une paroisse et reprise par le gouvernement. C’est la sortie des classes. J’explique mon cas aux maitresses. Il faut joindre le directeur pour voir si je pourrais dormir dans le lieu. Je suis l’attraction du jour pour les gamins Turkana. L’un est chargé de m’apporter une chaise, un autre un matelas à mettre dans la classe No 3 pour mon coucher. Je regarde flotter le drapeau kenyan dans la cours et tente d’imaginer l’équivalence entre les chaos de la piste et le nombre de coups de pied au cul. Passablement prostré je me remémore les évènements de la journée pour les gribouiller dans le carnet rouge.

Le jour tombe, les maitresses m’invitent à prendre une chaise devant leur dortoir situé dans la brousse à 300 m de l’école entouré par des acacias aux épines longues comme des lames de couteaux. « Karibu » (bienvenu) me disent les jeunes maitresses. Elles sont toutes originaires d’une autre région que le comté du Turkana. On discute un peu de mon cas, d’où je viens, mon itinéraire, la route. Le visage de la  maitresse la plus âgée se fronce souvent : elle n’arrive pas à comprendre pourquoi je fais cela et comment c’est possible.  Elle évoque mon âge. Un mystère, un cas relevant un peu du masochisme à leurs yeux... « But what is your aim doing that ? Do you have a special mission ? Are you raising some money ? ». Je bredouille quelques explications mais je sens que je ne suis pas crédible à ses yeux et elle éloigne son siège pour se consacrer à une importante discussion professionnelle avec ses 2 jeunes collègues.

Même en pleine brousse dans le comté désertique du Turkana, ça tourne autour des mêmes sujets : les remarques qu’on doit faire ou pas aux élèves, l’autorité, les examens et comment résister à certaines pressions des parents, la relation avec les supérieurs, les mutations. Un mélange d’anglais et de swahili me permet de vaguement comprendre. Ça devient parfois chaud. Des interlocuteurs téléphoniques sont pris à partie lorsqu’ils appellent. Ce sont souvent les conjoints.

Entre temps, il fait nuit noire, il faut faire la cuisine. Avec les lampes de poches. Un gamin a été chargé d’allumer le réchaud à charbon de bois. La maitresse en charge de la cuisine farfouille dans ses casseroles et couverts. Certains lits du dortoir servent d’étagère de rangement à tout ce matériel. Une poule vivante est extraite de sous un lit. Elle participera au menu du jour au même titre que l’Ugali (aliment de base traditionnel au Kenya,  essentiellement constitué de farine de maïs blanc cuite à l’eau, agglomérée puis démoulée. La valeur nutritive de cet aliment est considérée comme relativement faible), des épinards locaux et du chou coupé en lamelle. La cuisine prend beaucoup de temps. « Tu sais, chez nous, on ne garde jamais les restes, ça va directement aux animaux, on mange toujours de la nourriture fraiche qu’il nous faut cuisiner à chaque fois ». Les chèvres viennent nous rendre visite pour manger les rognures de choux et les branches d’épinards qu’il a fallu un temps fou pour décortiquer (presque autant de temps que lorsqu’il s’agissait des feuilles de Khat en Ethiopie). Les chiens passent pour les os du poulet.

Un gamin fait un aller et retour pour chercher à l’épicerie locale (invisible à l’œil nu)  les sodas que j’offre à la collectivité. A l’Est, l’orage gronde et un feu d’artifice d’éclairs se déclenche. Les étoiles s’allument dans le ciel. Dans 2 ou 3 jours je vais couper l’équateur. La nuit participe d’une sorte de réconciliation avec la terre. Le soleil ne brule plus ni n’écrase le paysage. L’horizon a pour limite la voie lactée et se borne à ce que le faisceau de la lampe éclaire. L’obscurité protège des regards qui, en terre étrangère, sont parfois insistants. Elle permet de redevenir anonyme, un terrien comme les autres sur une terre ronde. Les pensées rebondissent sur la couche ionisée de l’atmosphère pour éclairer des interlocuteurs invisibles restés au pays. Le temps est plus long à passer en Afrique. « Vous avez la montre, nous avons le temps ». Il se passe des choses horribles en France, je ne le saurai que dans 2 jours.

Une maitresse me propose « la douche ». L’eau est si rare ici ! Elle en a fait chauffer pour moi  sur le réchaud ! C’est trop. Je prends la bassine de 5 litres pour m’isoler derrière un mur. Elle exige, comme c’est le cas partout en Afrique que je porte des tongs et non mes sandales (pour des raisons d’hygiène mal comprises) et me prête les siennes. « Ne mets pas tes vêtements sur le sol, il y a beaucoup de scorpions surtout avec ce vent » Je démarre l’aspersion avec une bouteille remplie. Ca suffit bien pour dessaler le corps et c’est un luxe inouï mais indispensable pour dormir ensuite. Je balaie le sol du faisceau de la lampe. Effectivement, quelques scorpions dansent un balai bien réglé. Je rends les 3 litres restant.

Nous retournons à l’école. (Non, personne ne m’a proposé le dortoir des maitresses). Le directeur est là qui surveille l’étude. Quelques salles ont l’électricité. Le directeur pointe un autre scorpion pas loin de moi. C’est la joie des gamins qui ont là un prétexte pour sortir de la classe. Le directeur m’offre 5 litres d’eau prise sur ses réserves personnelles pour ma journée de demain. Il veut absolument me faire dormir dans une autre classe qui a l’électricité. Je le remercie et lui indique que je dors dans le noir. Je fais l’inspection des scorpions avant de dormir sur mon matelas posé par terre. Un orage fait renter la pluie dans la classe par la fenêtre et m’oblige à me réfugier dans le coin opposé. Je tends la moustiquaire entre le vélo et les bancs du premier rang juste sous le tableau noir où figurent quelques lignes en anglais du style « this is a cat, this is a car etc … ». Sur la piste défoncée à 300 m, on entend le passage de quelques véhicules, généralement, de petits camions qui ferraillent durement en négociant chaque bosse de tôle ondulée. Ca martèle dans le noir comme le bruit d’une grosse presse. Comme au Soudan sur la route Port Soudan -  Khartoum.

Le gardien de l’école fait des rondes dans la nuit en laissant trainer ses pieds dans le sable. 5h30 c’est le début de la nouvelle journée, l’horizon blanchit et les branches d’acacias commencent à se découper par la fenêtre grillagée de la classe. Il est temps d’harnacher le vélo, d’aller remercier le Directeur et d’enquiller la piste tape-cul en direction de Lokichar.

 

Les pistes vous conduisent plus loin

 

Les 2/3 du voyage ont été réalisés sur piste. Ça va du « roulable » sans problème jusqu’à l’infâme tôle ondulée. Ça va du relativement plat jusqu’au terrain bourrée de profonds trous de mines. Ca va du gravier jusqu’au tapis de pierres assez consistantes. Ca va de la latérite sèche et bien tassée par les passages jusqu’au lit de boue qui vient coller aux roues du vélo, s’infiltrer dans les freins, la chaine, les gardes bouts, la cassette arrière, derrière les sacoches. Bref l’engluement total. Ça va du gravier qui passe bien au sable fin dans lequel les roues chargées viennent s’enquiller profond provoquant l’arrêt total du véhicule et la nécessité de sauter à terre pour pousser ensuite … sous le soleil … généreux. Bilan des courses, il faut constamment naviguer à droite, à gauche, au centre de la piste à la recherche des meilleurs parties (pas de trous, pas de tôle ondulée, sol dur) qui ne durent jamais longtemps. Anticiper les changements de direction en fonction de l’état à venir sur les 100 prochains mètres. Et quand la vitesse atteint ou dépasse les 8/10 km/h, il faut se réjouir. Les autres véhicules, (motos, camions, rares voitures 4x4) dont la même chose et se croiser/doubler à droite ou à gauche n’a plus beaucoup de sens. C’est l’état de la piste qui impose où passer et rien d’autre.

Certaines pistes sont d’anciennes routes datant d’au moins 30 ans et jamais refaites. On tente alors de relier les petits morceaux de goudron grands comme des timbres postes en évitant les transitions scabreuses.

 

Intermède

 

Le syndrome de Stockholm à l’envers : mordre ceux qui aident

Les théoriciens classiques du libre-échange parlent de retour à l’équilibre automatique sur les marchés. Un prix monte du fait d’une pénurie sur un marché. Une offre complémentaire est attirée par les nouvelles perspectives de gain et ce complément d’offre ramène le prix à sa valeur initiale si la demande reste constante. Autres exemples plus triviaux : j’ai faim, je mange, je n’ai plus faim. J’aime, je suis aimé en retour, tout va bien. J’ai envie de pisser, je pisse, je n’ai plus envie. Je suis prisonnier, je déteste ou méprise mon bourreau, il me le rend bien. Tu donnes de l’information et on t’en donne en retour. Le retour de l’ascenseur.

C’est la règle de l’échange, de la compensation, de l’action feed back retour coordonnée et proportionnée, en bien comme en mal

Il existe des phénomènes paradoxaux qui font que les choses ne marchent pas dans le sens du retour à l’équilibre naturel. Aussi bien dans l’ordre physique que dans les interactions entre les gens. Le déséquilibre engendre son propre accroissement.

C’est ce qu’on appelle un équilibre instable. Le funambule sur son fil en cas de déséquilibre majeur et sans contre poids, tombera. Aucune force ne le fera remonter sur son fil.

Regardez le syndrome de Stockholm. (Phénomène psychologique observé chez des otages ayant vécu durant une période prolongée avec leurs geôliers et qui ont développé une sorte d’empathie, voire de la sympathie ou de contagion émotionnelle vis-à-vis de ceux-ci, selon des mécanismes complexes d’identification et de survie)

Et le syndrome de Stockholm à l’envers : développer un sentiment de méfiance voire d’hostilité envers ceux qui vous aident ou l’ont fait par le passé

Le sur accident, la sur réaction à une commande (exemple dans pilotage d’un avion)

Enfin, l’amour très souvent unilatéral ou dissymétrique : plus tu en fais plus l’autre s’éloigne et l’inverse est parfois vrai voire érigé en stratégie. De toute façon, c’est toujours à contre temps.

Aucun mécanisme n’est parfait, aucune certitude de retour à l’équilibre, rien qui ne garantisse non plus quand à l’extrême ambivalence de nos sentiments.

 

Intermède

 

Une vie en vaut une autre, et c’est bien assez d’avoir nos 2 yeux pour vivre la nôtre. Le voyage en vélo  fait vivre une expérience assez globale mais où finalement la nécessité d’un mode un peu « survie » fait parfois oublier d’approfondir les choses.

Simone de Beauvoir à la mort de Sartre : « Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C’est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s’accorder »..

Hébergement

 

En Ethiopie, des hôtels souvent miteux, avec l’eau absente presque toujours,  des chiottes pas géniaux (dès fois fermés à clés la nuit obligeant à aller dans la nature) et parfois des parasites (puces). Finalement, les bordels étaient  parfois les établissements les mieux tenus (compte tenu du taux de rotation). La seule nuisance c’est le bruit.

Kaléidoscope et constantes

 

Sur la route, les paysages changent. Tous les jours. Un film en accéléré. Toutes les demi-journées, toutes, les heures, à chaque virage, derrière chaque montée, au sortir d’une région, etc. Les interlocuteurs aussi.  C’est un ballet de paysages d’abord, d’images, des sensations,  d’impressions, qui défilent rapidement, qui finit vite par saturer l’humeur et la mémoire. Un kaléidoscope doré. Trop de choses finalement dans la caboche qui ne peut en contenir autant. La route en fait voir beaucoup, beaucoup trop, le carnet en restitue un peu, et la mémoire, une sorte de panier percé assez calamiteux,  a tout rejeté à la rivière. Vivre c’est oublier.

Alors, se concentrer sur l’essentiel. Les constantes. Les invariants. Ce qui revient souvent : la question de « ma  mission dans le pays » et les nombreux  « sauveurs du jour».

Quelle est ta mission ici ? Voir les missionnaires

Après les présentations rituelles, l’origine, le pays, la destination, il y a toujours la question sur le pourquoi. « Pourquoi tu fais ça au lieu de rester tranquille chez toi ? » « Pourquoi ce trajet ? » « Pourquoi en vélo alors que ce serait si simple de prendre une voiture ? » (Pas si sûr en fait, j’en ai plusieurs fois eu la confirmation), Et le sous-entendu « « pourquoi tu fais ça à ton âge, est-ce que ce n’est pas le moment de rester plus tranquille dans ton village, tu sais ici, les hommes, ils font comme cela ».

Le prolongement de tout cela était la question terminale :  « Mais au fond quelle ta mission ? ». Et généralement le final parce que d’autres l’ont fait avant moi « est-ce que tu fais cela pour récolter de l’argent pour une cause particulière ?». Dans les pays pauvres, les ressources sont rares et chères et on ne les gaspille pas si facilement. Les notions de loisirs, découvertes, aventures, c’est un peu du chinois qui laisse perplexe. Tout acte a nécessairement une finalité. Si je me tape 8 km en plein cagnard, c’est pour ramener de l’eau, aller au trou de la rivière et la ramener à la case. Si j’attends au bord de la route c’est pour un hypothétique camion qui me permettra de transporter en ville pour le vendre mon carton de poisson séché.

J’en étais réduit à être un peu honteux de mes motivations si légères et fort peu faciles à traduire.

Il m’a donc fallu inventer puis raconter une histoire et comme toutes les histoires, elle était à moitié vraie (pour la vraisemblance) et à moitié fausse (parce que ce n’était qu’une histoire). Au fur et à mesure de ma traversée du Nord Kenya plutôt que de camper en pleine brousse dans le sable et les épines d’acacias, plutôt que de fréquenter les hôtels miteux et plein de puces, j’ai cherché à être hébergé auprès des curés dans les missions catholiques ou tout simplement dans les paroisses (« parish » en anglais).

Hospitalité toujours généreuse (je faisais une offrande en partant), possibilité de parler en anglais, souvent une chambre pour moi  tout seul ou partagée avec des jeunes séminaristes (pas aussi sexys que Me Jinka). Parfois un lit dehors, dans la cour,  quand il faisait trop chaud. Un bon diner, de longues conversations sur mon voyage (plus personne n’évoquant mon but de voyage), l’état du pays, la religion, les religions concurrentes (Islam, protestants mais surtout leur bête noire : les évangélistes), la formation des prêtres, la venue du Pape, les évènements tragiques en France. Les séminaristes en formation ou en stage (souvent des ougandais) étaient toujours curieux et délicieux avec moi. Le soir, on regardait la télé dans le salon avant d’aller se coucher sagement.

J’avais enfin mon sujet de « mission » en terre Nord Kenyane. Ma mission était de visiter les missions catholiques et je m’étais auto-missionné pour cela tout seul. Missionnaire, une position assez reposante.

  

Le sauveur du jour (SDJ) comble les Grands Moments de Solitude (GMS)

 

Je dois ces 2 concepts à Alexandre et Sonia Poussin (Africa trek). Des concepts dont la validité n’a que rarement été mise en doute.

Un exemple parmi  tant d’autres. Le 16 novembre je quitte le père Dharmu, un charmant curé de paroisse d’origine tamoul. Lui-même a  le statut de SDJ pour m’avoir  accueilli le dimanche soir chez lui dans sa paroisse. Il m’a gentiment déposé à la gare de bus d’Eldoret après que j’ai eu rempli officiellement mes formalités d’immigration (entrée 5 jours auparavant dans le pays, je n’étais encore enregistré nulle part, j’étais un clandestin susceptible d’être mis en prison à la moindre arrestation).

Stress, racolage, excitation, mensonges, tentatives d’arnaque etc. … Le lot commun de toutes les gares routières. Je tombe  finalement sur un minibus (matatu) qui serait direct pour Nyahururu où je me rends ce soir. Bravo, pas d’arrêt à Nakuru. Une correspondance de moins. Ce sera, bien sur, un mensonge. Les bagages sont emportés à une vitesse stupéfiante pour bien « fixer » le passage dans ce bus là et le vélo fixé sur un toit sans galerie est tenu par une très vague ficelle. Départ vers 15 h avec un chauffeur un peu excité sur une route très encombrée et dangereuse que j’ai bien fait d’éliminer de mon itinéraire en vélo. Les poids lourds très lents sont scotchés dans les montées. On est haut  largement au-dessus de 2000 m. Heureusement, l’Etat Kenyan a commencé à mettre des ralentisseurs sur les routes pour éviter une trop grande hécatombe. Chaque ralentisseur est l’occasion pour les petits marchands ambulants de proposer leurs marchandises aux passagers des bus (pommes de terre, navets, carottes, maïs grillé). Impossible de pisser, torture... Heureusement, pas de musique ni de vidéo, là c’est le top et si rare. Comme les arrêts. On prie Dieu que la ficelle tienne le vélo sur toit, qu’aucun choc frontal ne se produise avec un autre véhicule et que la vessie n’éclate pas...

Arrivée à Nakuru vers 18h ;  énorme station de bus. De nouveau le cirque des gares routières qui recommence. Rabatteurs, intermédiaires, assistants, tous aux fonctions plus ou moins définis. « Non le bus ne continue pas vers Nyahururu, il te faut changer, on t’a menti et tu dois repayer pour le vélo ! »

Je bataille féroce. Psychodrame de la colère. On refait le chargement sur un autre mini bus. La ficelle qui attache le vélo directement sur le toit est encore plus mince et délabrée que sur le parcours précédent… Bien, ça ne va pas fort avec ces gens menteurs, hypocrites et un peu voleurs avec toute cette agitation stérile. A la nuit on part enfin. Je me dis que le vélo c’est quand même mieux que le bus : moins dangereux la route, ambiance plus calme, plus reposant finalement avec … la possibilité de s’arrêter pour pisser quand on le souhaite sans dépendre du bon vouloir d’un chauffeur un peu obtus ou tenu aux rendements.

Départ à la nuit, ça c’est jamais bon en Afrique, la route est plus ou moins bonne, avec beaucoup de trous et la pluie tombe sans arrêt fragilisant la ficelle qui tient le vélo sur le toit. Plus embêtant encore, le chauffeur met la musique à tue-tête.

Bref, je ne suis pas bien clair quand on arrive et je n’aime pas arriver de nuit dans une ville inconnue. Pour corser les choses, il pleut, il y a panne d’électricité, tout est dans le noir et j’erre comme un zombie pour trouver un hôtel à prix correct. Plusieurs allers et retours dans le noir, la pluie,  la boue, et des gens pas très nets qui rodent. Soudain Zacharia surgit. « Qu’est-ce que tu fais là, dans le noir, comme cela, à trainer en ville, sous la pluie ? ». « C’est plein de voleurs ici, il ne fait pas bon rester là. » « Viens, je vais t’aider ». Et c’est ainsi qu’avec l’aide de mon Zacharia et après avoir essuyé un 1er refus, on déniche un hôtel adéquat pour se mettre enfin à l’abri et se repasser mentalement le film de cette dure journée. Impossible de prendre la douche, trop froid à cette altitude et avec cette humidité. Impossible de lire, l’électricité n’est toujours pas revenue.

Au matin, mon sauveur est revenu voir si tout allait bien pour moi et si j’avais bien dormi. Comme d’habitude dans ces cas-là, on s’échange les No. de téléphone. Comme d’habitude, on reste en contact par sms pendant les quelques jours suivants pour se prendre des nouvelles.

Et comme d’habitude, le flot des contacts téléphoniques incessants liés aux nombreux SDJ rencontrés fait qu’on finit par ne plus savoir qui est qui. Eux le savent (un Mzungu à vélo, ça courre pas les rue) mais pas nous. D’où des échanges un peu plat comme « bonjour, comment vas-tu ? Où es-tu ? »  On espère que la localisation de l’interlocuteur permettra de mieux se le remettre en mémoire. Et qu’il ne dire pas : « je suis sur la route ».

Moi, je vous l’assure, Zacharia le policier de Nuahururu, m’a bien sauvé la mise en cette heure tardive sous la pluie et pendant la panne de l’éclairage public (courante ici). Et je ne sais pas pourquoi, je suis toujours reconnaissant aux gens gentils de m’aider. D’abord parce que je ne suis jamais sûr de l’avoir bien mérité, ensuite parce que je ne sais jamais bien comment remercier et si je l’ai bien fait. Après tout, je ne faisais que passer là. Et pour des raisons pas bien facile à expliquer.

A côté du sauveur, il y a l’ami du jour qui devient votre guide ou l’inverse. Le 11 novembre, j’arrive à Kalakol en pleine chaleur. C’est mon 1er bled après la traversée désertique des bords du lac Turkana qui a pris 5 jours. Il n’y a plus d’eau dans la ville, les canalisations sont rompues depuis de nombreuses semaines et on retourne s’approvisionner dans les trous d’eau au fond du lit des rivières à sec. Kalakol, ce n’est pas une ville vraiment, un gros village à 2 km du lac Turkana. Un village de pêcheurs. On y fait sécher le poisson tilapia, on le conditionne pour qu’il parte sur des petits camions loin parfois jusqu’au Congo. Ca va faire 5 jours que je suis rentré dans le pays, toujours pas de tampon d’entrée et pas encore de téléphone local pour donner des nouvelles. Donc, direct à la petite échoppe de Safari com l’opérateur local. Le gars qui y vend les SIM card n’arrive pas à faire enregistrer mon No de passeport, alors « John » (« John » c’est pour simplifier, c’est son nom de baptême chrétien mais on vrai nom c’est Ochywynod), me prend en charge en mettant la carte Sim à son nom avec son No d’identité kenyan. John est un jeune de 27 ans qui traine dans la rue faute d’un emploi fixe. Il est musicien (écoutez son dernier single que j’ai mis sur You tube) mais ne trouve de ressources avec cette activité (“Hello my friend I wanted your help please, I was planning to shut a video clip of that song but I dont have capital at the moment can u really assist mi my friend?” ).

En Afrique tout le monde a une profession mais personne n’a un emploi.

John se propose donc de me servir de guide pour le restant de la journée. Direction, la paroisse où je suis hébergé par le Père Grégoire et laisse mon vélo. Ensuite, visite du village et on décide de se rendre au lac (5 km de route pour la plage), pour se baigner, et regarder les entrepôts de stockage de poisson séché. Une ancienne entreprise italienne était établie dans ce business mais a dû plier bagage. Après la baignade, on prend le soleil et on se sèche dans le vent de sud-est qui rafraichit l’air, on discute longuement, famille (John a été élevé par sa mère et les 4 ou 5 enfants de la famille sont maintenant dispersés aux 4 coins du pays), projets, voyages (John envie la chance que j’ai et n’évoque pas de mission sous jacente), fiancaille/mariage (« parfois, elle vient me voir. J’ai souvent des appels de ma mère pour me demander quand est-ce que je me marie ! » et on se photographie l’un l’autre longuement (toutes ces photos sont perdues deux jours après).

Des vacances, des vraies vacances cet après-midi-là. On va siroter un coca dans le « camp » d’à côté où nous sommes les seuls clients. Vers la tombée du jour et de retour au village, John me fait visiter son « squat » : une pièce en tôle ondulée, un peu de vaisselle, un foyer à charbon, et une natte pour dormir sur le sol. « This was a sign of God » me dit-il lorsque l’on se quitte à mon retour chez les curés. Les jours suivants, j’aurai droit tous les soirs et parfois en milieu de journée à un texto pour prendre des nouvelles. Au fur et à mesure de ses changements de cartes SIM ses messages se confondront avec ceux de mes innombrables autres amis-guides africains rencontrés sur la route. Et vers la fin, le jour de mon départ de Nairobi, une petite demande de « support » « for a problem concerning my family ».

« Safari Telecom » qui avait été notre point de rencontre sera aussi notre point de départ puisqu’au Kenya, se met en place un très astucieux système de transfert d’argent par les mobiles avec des opérateurs télécom qui deviennent des banques.

Le téléphone portable devient une technologie vitale dans ces pays pauvres : c’est la seule infra structure à peu près fiable (malgré les pannes fréquentes des relais) qui relie des gens entre eux immédiatement et indépendamment de tout ancrage ou infrastructure géographique.

En fin de voyage, un autre sauveur encore. J’arrive à la gare routière de Nairobi, un genre d’atterrissage qui vous rend nu comme aux premiers jours. Trouver son chemin, trouver un lieu pour dormir avec un vague plan d’un Guide du Routard de plus de 10 ans, n’est pas une mince affaire. Une ville inconnue et vaguement hostile, moderne et laide, sans aucun quartier ancien africain. Aucun petit restaurant de rue. Je roule dans les grandes avenues sans savoir bien où aller : Kenyatta, Uhruru, Milimani, Bishop. Bien des hébergements ont disparus depuis 10 ans ! La ville n’a aucun charme et la circulation très dangereuse. Et puis, arrive le sauveur du jour. Mon sauveur est un prof mais évidemment sans emploi. Et peut-être son travail est-il d’être devenu « sauveur du jour ». Avec son aide, on trouve un dortoir sur Milimani Rd. Ensuite, on passe 2 à 3 heures ensemble à visiter et à discuter. J’ai quelques courses à faire et je lui propose un jus de fruit. « Donne-moi plutôt l’argent de la boisson, ça me permettra d’acheter de la nourriture pour la maison » me demande-t-il alors qu’on se quitte. Difficile de survivre sans sauveur : notre fragilité est finalement notre meilleur atout pour révéler ces merveilleux coach-ambassadeurs.

Et que dire de « Mike » (même remarque que précédemment sur son prénom). Je suis scotché au sud de l’Ethiopie au village d’Omorate. Deux nuits. Tout est trempé, il pleut sans arrêt alors qu’il ne devrait pas pleuvoir plus de 1 ou 2 heures de temps en temps. La météo est déréglée. La petite saison des pluies se transforme en grande saison. C’est El Niño le coupable d’après ce que j’entends. Bon, partout des flaques d’eau, plus de téléphone, le réseau est « out ». Les locaux très indifférents et peu causants. La piste se transforme en lac, et partout, c’est de la boue, la vilaine boue rouge qui colle.

Horreur, avec le vélo cela s’infiltre partout dans les roues, les gardes boues, les freins, le pédalier, la chaine etc. … Je jette un coup d’œil de l’autre côté du pont vers le no mans land qui mène au Kenya. Impossible de passer, de la soupe. Même les chinois ont arrêtés leur chantier. « Je peux rien faire, mes engins sont bloqués à 3 km de là et impossible d’aller les récupérer ».

Je fais des cauchemars la nuit quand j’entends la pluie qui tambourine sur la tôle ondulée de ma chambre. Rien ne sèchera encore aujourd’hui. Hier je me suis même embourbé … dans les rues du village, une boue transformée en cloaque puant, un marécage ignoble et, comme parfois en Ethiopie, les gens se sont moqués.

Les chaussures ont même cassé dans ces étendues spongieuses qui les ont aspirées comme une ventouse. Il me reste 2 solutions : m’écraser sur mon lit pour finir « Le voyage au bout de la Nuit » de LF Céline, une lecture bien appropriée à la situation par son pessimisme latent. Ou mâcher des feuilles de Khats sous l’auvent avec les autres mâles du village, en bordure de la rivière Omo.

Et c’est là que je rencontre « Mike » le propriétaire d’une vague boutique d’électricité solaire qui permet aux gens de recharger leurs portables car le village n’a pas l’électricité. Il me toise. « C’est quoi ton problème ? D’abord va d’abord te laver à la rivière et ton vélo aussi t’as vu dans quel état tu es plein de latérite rouge sur les vêtements, les bras et la figure Va faire réparer ta chaussure en la confiant au gamin la bas ». On réfléchit ensemble à ma situation bloquée et mon voyage qui ne peut plus continuer.

« Attends, il y a un 4x4 de l’armée qui va alimenter le poste frontière Ethiopien. Il y en a un qui est parti ce matin à 10h ». Bon, un peu aléatoire, rien n’indique que demain les militaires du poste frontière seront ravitaillés. Ni qu’ils veuillent bien m’embarquer. Le lendemain, même topo, ciel bas, bouillasse partout, lacs, reflets des nuages sur ces vastes étendues liquides. La terre n’absorbe plus rien.

Derrière le pont, pire que d’habitude. Seule consolation il fait frais (28°) et il y a un peu de vent. Souricière. Mes jours de sécurité fondent comme neige au soleil. Essayer de se laver un peu, de se nourrir (ce qui est devenu une opération complexe dans ce village) et … aller à la pêche aux informations. Mike a une nouvelle idée pour me tirer d’affaire. 26 ans (qui n’est pas jeune la bas ? Qu’il lève le doigt, mais personne ne peut répondre sauf l’auteur de ces lignes) éduqué au Kenya à Eldoret, il gère ce petit Solar Kiosk (investissement d’une ONG allemande) c’est-à-dire qu’il produit de l’électricité solaire pour les portables des locaux et aussi quelques usages comme la télé ou un copieur. La ligne électrique s’arrête encore à Turmi à 70 km de là.

Depuis hier, il cherche pour moi une solution me permettant de passer au Kenya. Le problème immédiat consiste finalement à traverser les 10 km de zone boueuse le long de la rivière Omo au sud du village. Aucun engin, même un engin de chantier ne pourrait passer, il s’y embourberait. Dernière solution auquel il pense et elle s’avèrera la bonne : redescendre le long du fleuve Omo en aval sur 10 km à travers la brousse pour rejoindre un passage où officie un piroguier. Mettre le vélo dans la pirogue et rejoindre Athalako sur l’autre rive où le terrain passe d’argileux à sableux. « De l’autre côté, c’est sûr, j’y suis passé plusieurs fois, tu pourras rouler, la pluie ne reste pas sur le sol et tu passeras à du sable dur ». Vite la décision est prise. Filer acheter quelques provisions dans l’une des quelques échoppes si mal achalandées, faire changer le reste des Birs éthiopien chez un épicier pour avoir des shillings Kenyan et, le plus important, repasser au bureau d’immigration éthiopien pour se faire mettre le tampon de sortie (les éthiopiens gèrent la sortie, mais les kenyan n’enregistrent pas l’entrée de l’autre coté, à 25 km de là où se situe leur premier poste).

Mike a affrété une moto pour me guider dans la brousse à travers les chemins les moins inondés. Il monte derrière la moto et emporte mes sacoches. Je suis derrière en vélo léger. Traversée de villages Dassanechs très pauvres, avec des sortes de cages construites en morceaux de tôle ondulée comme des petites facettes ressemblant à des yeux de mouches et tenues par des cordes pour obtenir un vague assemblage sphérique. 12 km plus loin, on rejoint un passage sur la rivière tenu par un piroguier avec qui on négocie la traversée. La pirogue est un tronc de bois vaguement droit, un peu déformé et juste creusé. Equilibre précaire dans l’embarcation : le vélo constitue un lest mobile qui peut faire basculer à tout moment le bateau lorsqu’il amplifie les mouvements de gite liés au courant.

L’arrivée sur le talus de l’autre rive marque la délivrance et la possibilité d’une poursuite du voyage. La piste est vaguement marquée qui jouxte quelques très pauvres villages Dassanechs. Mais elle est en sable ce qui donne la possibilité d’y rouler même s’il faudra pousser de temps en temps. Elle donne accès à la zone du No man’s land frontalier parfois un peu troublé.  Un australien passé là il y a quelques mois m’avait indiqué que l’armée kenyane interdisait de rouler sur ce tronçon trop dangereux où il y avait eu des cyclistes détroussés.

J’attendais ce moment depuis longtemps, trop longtemps pour me soucier de question de sécurité. Et c’est un bonheur d’entamer, avec impatience ce tronçon du voyage qui s’apparente à une petite traversée de désert reliant deux lieux parmi les plus improbables au monde. Merci Mike pour ton aide.

Pourquoi a-t-il fallu aller si vite dans cet endroit hors du monde et ne pas s’imprégner mieux de chacun de ces instants ? Il y avait la chaleur qui a commencé à grimper à partir du dernier poste militaire éthiopien, il y avait l’incertitude sur le cap à suivre pour viser le poste frontière kenyan, ne pas risquer de couper le frontière du Sud Soudan et se trouver face à une patrouille militaire, il y avait la soif et la faim.

Vers le soir, parvenu au poste de police kenyan, leur hospitalité a été la bienvenue pour clôturer cette dure journée.

 

Peut-on faire 100 photos ? Et sans photos ?

 

Chacun le sait. Maintenant sans photo plus rien n’a de réalité et on n’est plus rien soi-même. Multiplication des « postages » de photos en pièce jointe ou sur Facebook,  selfies à tout va, galerie de  photos.

L’écrit est pauvre, long à produire et à lire, lourd. Un peu ringard.

J’ai soigné mes prises de vue durant ma traversée de l’Ethiopie, pris soin de mettre dans la boite les portraits des gens que j’ai aimés et qui m’ont aidé, léché les paysages et les lumières si belles au petit matin ou dans la journée sur des fonds nuageux.

Mais les boites à photos sont fragiles et facétieuses, elles disparaissent facilement. Entre Lodwar et Lokichar la piste est tellement mauvaise qu’on se croirait en train de faire du rodéo dans un corail des cow boy.

20 km après la ville, l’appareil n’était plus là, il avait sauté hors de sa sacoche sur une piste sableuse où quelqu’un avait du le ramasser à moins qu’il ait été écrasé par une roue de camion. Un aller et retour en arrière n’y a rien fait, d’ailleurs il n’était même plus concevable que je retrouve la piste exacte que j’avais prise, car pour contourner les chaos et la tôle ondulée, les camions ou les 4x4 « créent » de nouvelles pistes latérales dans la brousse et finalement on a vite le choix entre 2 ou 3 options.

A l’évidence, la moitié de mon voyage avait disparu en fumée puisque les photos n’étaient plus là pour montrer la réalité et en dépeindre les couleurs. Plus de retour possible. Il fallait faire autrement, effacer la tristesse, trouver une alternative pour les jours suivants : le téléphone a pris le relais. Et trouver un remplacement pour les photos manquantes. Mais quoi, est-ce qu’internet n’est pas déjà « un autre monde » dans lequel il n’y a qu’à piocher largement. Avec un peu de patience, en demandant les autorisations à droite à gauche auprès des voyageurs, j’ai pu partiellement reconstituer les parties manquantes un peu comme dans une table de données, lorsqu’il y a plein d’informations manquantes on reconstitue les vides par des calculs, des interpolations ou des approximations.

Finalement, tout était possible et je me suis souvenu alors d’un vieux rêve : le voyage immobile, celui-là peut-être plus riche en souvenir sans les aléas de la matérialité, de la faim, de la soif, parfois de la peur. Un vrai voyage sans photos. Peut-être que la musique le permettrait. Mais maintenant on a bien plus avec la « réalité virtuelle «  ou la « réalité augmentée ».

 

Les missions, les paroisses, les pères, les séminaristes

 

Lire Céline en Afrique est un peu décourageant, surtout la partie du « Voyage » qui se déroule en Afrique.  Misère sordide du monde colonial de l’entre deux guerres, prévarication partout, solitude, chiasse et palu pour couronner le tout.

Et pourtant la vision africaine est tout autre : optimisme, volonté de s’en sortir, courage.

Dans ces régions du nord Kenya, la présence de l’Eglise catholique et des Missions est assez forte et elles prennent un part active à la vie de la société locale (Ecole, dispensaire, centre de nutrition, formation professionnelle etc …), quand elles ne remplacent pas tout simplement les rouages administratifs défaillants.

La mission espagnole de Narokotome (zone Turkana extrêmement pauvre) où j’arrive à la mi journée est riche. Grand domaine clôturé en plein désert avec des bâtiments en pierre, Eglise récente magnifique en matériaux locaux, éoliennes qui pompent l’eau vers des réservoirs aériens, entrepôts, matériels agricoles, champs d’arbres fruitiers et de légumes irrigués et même, cerise sur le gâteau, une piste d’atterrissage en latérite pour le Cesna du père Antonio. Narokotome, d’après ce que j’ai compris est la fondation mère d’un ensemble de communautés dans un rayon d’une trentaine de km autour. Une grosse entreprise. 3 prêtres d’origine espagnole ou sud américain. Egalement des sœurs mais pas en uniforme.

On se croirait en Israël dans un kibboutz. Mais qui finance tout cela ? Sans doute les dons des missions européennes.

Ils on même des hôtes étrangers provenant des 4 coins du monde (en stage ou pour aider ?). Une petite maison pour les hôtes de passage où je suis hébergé. Jamais aussi bien mangé que chez eux !

La messe est à 19h, avec les 3 prêtres blancs et de futurs prêtres blacks. L’Eglise en Afrique est, par la prêtrise,  un moyen d’ascension sociale comme elle pouvait l’être en Europe autrefois. Des familles se saignent pour financer la longue formation (11 ans) d’un de leur enfant.

Des enfants de cœur en aube rouge et blanche. Très traditionnel.

Le père Antonio est très chaleureux dans sa célébration et son prêche.

Ces moments dans les Missions ou les paroisses sont des parenthèses dans mon voyage africain avec parfois un petit coté surréaliste de cette religion d’origine lointaine ayant des références un peu décalée par rapport à la vie locale : les juifs, Jérusalem, les apôtres, le pain, le vin etc ..

Father Dhamu, à Chapareria, un prêtre indien tamoul a également été un de mes plus chaleureux interlocuteur dans ce voyage.

 

Un voyage  vécu 3 fois

 

La première fois, c’est le voyage préparé, imaginé avec ses « todo » listes, ses anticipations souvent trompeuses et inutiles. La deuxième fois, c’est le vrai voyage avec une entrée en matière souvent brutale où l’on se rend compte que malgré la préparation, on est souvent à côté de la plaque : fatigue, stress, doute, oubli de l’expérience passée. Il faut progressivement « rentrer » dans le voyage et c’est une immersion lente, retrouver ses habitudes recréer des réflexes, reléguer ses peurs. Gérer la fatigue, la maladie, résoudre les énigmes d’un endroit où c’est différent, pas comme chez soi, pas comme imaginé, pas comme déjà vécu auparavant. Prendre la mesure de ce qui est nouveau, apprendre en faisan. Lutter contre le découragement ou l’excès de confiance.

La troisième fois, c’est quand l’envie vous prend de raconter et de faire partager.

On en arrive à la question de « qu’est-ce qu’il faut préparer et jusqu’où ? »  La réponse est évidemment à mi-chemin. Un peu mais pas trop. Trop ça ne sert à rien, c’est souvent à côté de la plaque, même si cela a servi à  dérouler le scénario d’un autre voyage, le voyage imaginaire qu’on superposera avec le voyage réel.

 

Le poste de Police de Todenyang, prier Dieu, la nuit

 

Une fois traversé la rivière OMO en pirogue, il reste à rouler sur une vague piste heureusement sable ; fini la galère de l’argile boueux. Le temps est couvert, pas trop chaud on n’est qu’en fin de matinée. Un petit vent sympa vient donne une touche d’humanité à ce territoire du bout du monde. Quelques villages Dassanechs le long de l’Omo et, dans ce désert, avec cette pauvreté, ça frise l’inhumanité. Au bout de 12 km de piste pas trop compliquée à suivre, le poste frontière éthiopien composé de quelques gars un peu perdus dans une pièce en ciment au sommet  d’une petite butte sableuse. Ah oui, le drapeau qui flotte, j’oubliais le drapeau, important comme attribut de la souveraineté.

Un seul de ces gars possède un uniforme et une kalachnikov. Peut-être parce qu’il est de service. Ils consultent vaguement mon passeport tamponné ce matin à Omorate, m’offre un café et je repars vers 13h, grande chaleur. Ensuite les fameux 15 km de no man’s land, dans le sable avec une vague trace que l’on perd vite… Quelques Dassanechs perdus, plus ou moins armés mais pratiquant plus la mendicité que le braquage. Soleil, chaleur, juste la boussole et la vague direction d’un sommet montagneux au loin. Il aurait fallu partir plus tôt mais les négociations pour trouver la solution de la traversée de l’OMO en aval du village ont été longues et laborieuses. En Afrique, tout est possible, il suffit d’attendre. Au bout de 15 km et vers 15h30, je trouve le poste militaire kenyan (des forces spéciales, bien équipés en armes, véhicules half trak, générateurs, et… bière et télévision sous la grande tente mess pour regarder par TV sat les matches de foot du championnat anglais)  puis à 1 km, le poste de police. Byzance : ils ont de l’eau y compris de la potable, un peu d’électricité (générateurs) mais impossible  d’y obtenir le tampon d’entrée dans le pays. Et, cerise sur le gâteau, on y parle anglais !

Au poste de police, les gars sont sympas et d’accord pour m’accueillir. Ils proposent de planter la tente dans la cour mais quand le fort vent du sud se lève avec un peu de pluie et de l’orage, ils m’offrent une chambre. Le sable a remplacé l’argile, la savane a succédé au désert. Aux confins de deux pays. Au milieu de nulle part. Je suis invité à diner avec les policiers (là encore, un uniforme pour 10 personnes du poste, se le partagent-ils ?) sur une table dans la cour. Au menu, de l’Ugali avec de la soupe aux choux. De grosses poches de plusieurs m3 d’eau permettent la douche à l’aide d’un bidon de transition. Heureux d’avoir fini cette première partie du voyage sans trop de problème, je tente de m’endormir mais, dans la chambre voisine, un policier prie tout haut en anglais. C’est un mélange de supplications, d’actions de grâce, de remerciement, je ne saisis pas bien les détails. Mais le ton est passionné comme celui qui serait à genou au pied de son seigneur… Peut-être un grain de folie aussi qui aurait justifié une mutation au confins du pays dans une zone si aride.

Au matin, même chose, encore des prières et des suppliques à haute voix. Peut-être n’ont-elles pas cessé de la toute la nuit ?

Combien de vélo passent par là chaque année ? J’ai recoupé quelques renseignements par le biais d’internet et des registres des paroisses, plus loin au Nord du Kenya. Une dizaine ?

 

Route de Mombassa 21 novembre

 

Vous voulez voir l’enfer, tirer les moustaches du diable, fleureter avec la ligne jaune continue ? Je vous propose d’aller faire un tour de vélo en sortie de ville sur « l’autoroute » Nairobi Mombassa. Sur l’autoroute, faire du vélo mais quelle drôle d’idée. Passons vite cette objection, il n’y a pas d’alternative. Très dangereux tout ça. Frôlé sans cesse par les camions, les bus, les matatus qui se rabattent à gauche  (on roule à gauche au Kenya) à pleine vitesse pour ramasser des clients et qui en repartent tout aussi brutalement et de manière inopinée dès que ces derniers ont été cueillis. Aussi, il y a ceux qui doublent en même temps qu’un autre arrive en face et qui obligent le véhicule doublé à vous aplatir sur le côté.

On comprend que la loi du plus fort et du plus gros n’admet aucune exception. Implacable et plaqué. J’ai réalisé que même en étant constamment sur ses gardes, l’espérance de vie pour un vélo était faible. On serre les fesses et on se dit qu’on a eu de la chance avec ce véhicule, mais jusqu’à quand ? On prie le ciel. Souvenir de Mike à Omorate qui m’a raconté cette histoire d’un cycliste mzungu (blanc) qui s’est  fait écharper quelques années auparavant à Nairobi avec une jambe amputée. Mike mettait les choses en perspective : « tu sais, ces chauffeurs de bus ou de camions parfois ils roulent sans dormir depuis 2 ou 3 jours ». Le plus grand danger du voyage en vélo, c’est la route. Le destin est-il tracé d’avance ? Seuls les marabouts d’Afrique nous le diront car ils le pensent.

Et dans les arbres qui bordent les avenues de Nairobi, ils sont là, perchés, silencieux, hautains, à nous regarder, nous les rampants, eux les marabouts avec leur long bec et leur curieuse écharpe de chair rose qui pend dans le vide.

 

 

Sites d'informations de prédécesseurs à vélo :

 

 

Cartes de détail :

Trace GPS Omorate Kitale
Fichier GPX Turmi -> Eldoret


 

 

Sekiji map 2013 : very usefull